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BRION MARCEL (1895-1984)

En vrai romantique, Marcel Brion a cru à l'unité de la création artistique. De culture humaniste et de curiosité universelle, il s'est intéressé avec un égal bonheur à l'histoire, à l'archéologie, à la musique, au fantastique en littérature et dans les arts plastiques. Aussi ne saurait-on distinguer celui qui a consacré des études profondes et raffinées à Goethe (1949), à Vinci (1952), à Michel Ange (1939), à Laurent le Magnifique (1937) dans la suite Génie et destinée, celui qui a disserté sur L'Art abstrait (1956), L'Art fantastique (1961), celui qui savait fort bien parler de Schumann (Robert Schumann et l'âme romantique, 1954) et celui qui a composé nouvelles et romans où l'étrange et le merveilleux se combinent en variations subtiles : on y reconnaît la marque d'un même esprit et les manifestations d'une même sensibilité. Loin d'encourir le reproche de dispersion qu'on lui a fait parfois, Marcel Brion se signale au contraire par la cohérence de ses recherches. Elles trouvent leur point d'application dans des domaines différents, mais se ramènent à un unique objet, le rêve et son pouvoir créateur. Scruter les Kreisleriana de Schumann, les paysages tragiques de Kaspar David Friedrich, les récits initiatiques de Novalis et de Hoffmann, les mosaïques de Ravenne et les monuments d'Égypte prouve que l'on se fait une conception religieuse de la nature, que l'on a le sens du mystère et du sacré.

Si Marcel Brion donne à la musique la précellence sur les autres arts, c'est qu'elle constitue le lien privilégié entre Dieu, la nature et les hommes : elle est le moyen de transcender le temps. Il aime à citer Wackenroder qu'il a si bien décrit dans son admirable exploration de l'Allemagne romantique (1962-1977) : « La musique élève l'homme à la foi ; elle est le seul chemin qui nous rapproche de la félicité divine. » Le romantisme est un fait total qui embrasse la philosophie, tous les arts, toutes les manifestations de la vie : c'est la liberté unie au lyrisme, la bride laissée sur le cou à l'imaginaire, la réflexion portée sur les choses obscures. L'Allemagne a conféré à la musique une dimension nouvelle. Ou plutôt elle lui a restitué sa finalité première. De ce qui était devenu plaisir esthétique et destiné à la seule délectation de l'esprit, elle a fait une métaphysique.

Les écrits de Marcel Brion sont à leur manière des compositions musicales : ils nous incitent à transcender le temps. Le prince des Miroirs et des gouffres (1968), disciple du professeur Werner qui enseigna la géognose ou gnose mystique de la terre à Novalis, veut aller là-bas, où pourrait se réaliser ce qui reste inachevé ici-bas. Son « départ » est un acte de foi, la certitude de survivre au-delà de la mort et de ressusciter. L'Ombre de l'arbre mort (1970) explore la jungle des nuits. C'est l'histoire d'un amour qui défie la mort, la provoque et la transfigure. Le lecteur ne sait jamais si la femme aimée est morte ou vivante, s'il s'agit de son souvenir ou du rêve d'une ombre. Dans Le Journal du visiteur (1980), Marcel Brion va plus loin encore dans son exigence et sa négation du temps : le visiteur aime une femme disparue de ce monde depuis trois siècles et par la ferveur de sa passion parvient à la ressusciter pour de brefs instants.

Les romans préférés de Brion étaient des voyages initiatiques ; il s'agissait toujours d'aller au-delà. Leurs titres suffisent à les résumer : De l'autre côté de la forêt (1966), Nous avons traversé la montagne (1972), L'Ermite au masque de miroir (1982). Marcel Brion nous invite à un voyage dominé par l'amour de la nature et de la poésie, par la croyance selon laquelle l'homme est relié à l'univers par l'Âme du monde. Derrière[...]

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