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CARNÉ MARCEL (1906-1996)

Marcel Carné est né à Paris en 1906. Après avoir été critique de cinéma, il tourne un premier film – un documentaire – en 1929 : Nogent, Eldorado du dimanche. Avec Le Quai des Brumes et Le jour se lève, il va devenir une figure clé du « réalisme poétique ». Durant la Seconde Guerre mondiale, Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis marquent l’apogée de sa carrière, en même temps qu’ils traduisent une inflexion certaine de l’œuvre. Après la guerre, malgré des réussites certaines, Carné ne parvient pas à renouer avec la créativité de ces deux périodes.

Peut-être en raison de sa précocité, le réalisateur aura du mal, au début, à se faire une place dans le petit monde des studios français des années 1930. Les techniciens et les figurants, qui vénèrent l'aimable Jean Renoir comme un père de famille, vivent mal l'arrogance de ce jeune cinéphile qui vient du journalisme et a su profiter d'amis personnels (Jacques Feyder et son épouse Françoise Rosay) pour s'introduire dans le milieu. Sur le plateau, on le dit froid, dictatorial, peu sûr de lui, ne fréquentant que les vedettes et les chefs d'équipe. C'est donc presque à contrecœur, et le succès aidant, que l'on va reconnaître, au sein des équipes, le génie professionnel de Carné, son perfectionnisme et sa capacité à galvaniser les talents qui l'entourent.

Le réalisme poétique

« Quand le cinéma descendra-t-il dans la rue ? », s'interroge Carné en 1933, dans un article rétrospectivement célèbre de Cinémagazine. Son premier film, Nogent, Eldorado du dimanche (1929), avait été un court-métrage documentaire poétique, produit loin des structures traditionnelles. Il est paradoxal (à moins d'invoquer quelque inéluctable logique de l'histoire) que, trente années après ce premier opus, Carné ait été à son tour méprisé par les jeunes loups de la Nouvelle Vague, qui voudront voir en lui le représentant d'un cinéma de studio, sclérosé, artificiel et insincère. Entre-temps, il aura connu une gloire sans pareille, suivie d'une désaffection brutale à la suite de la sortie des Portes de la nuit en 1946, puis d'allers et retours indécis dans les faveurs de la critique comme du public.

Dans l'exceptionnelle série des huit films de la période 1936-1946, la variété de tons et de sujets n'est point contradictoire avec l'homogénéité des thèmes et de la plastique. Certains leitmotiv tournent à l'obsession, et le florilège le plus complet en est livré dans le dernier film du tandem légendaire qu'il forma avec son scénariste Jacques Prévert, Les Portes de la nuit (1946) : l'amour qui transfigure les êtres et brise les barrières sociales est destiné à être détruit par une fatalité qui, loin d'en anéantir l'éclat, renforce sa puissance en l'inscrivant dans la mémoire. Si la fin d'un film de Carné est tragique, elle n'est jamais cynique ; et si l'épilogue est optimiste, il nous fera toujours sentir la précarité du bonheur, qui en fait tout le prix (Hôtel du Nord, 1938, où Henri Jeanson remplace Prévert). Afin d'être plus profondément transfigurés, les protagonistes partent souvent du plus bas, socialement et moralement ; c'est ce qui les rendait si peu ragoûtants pour la critique de l'époque, qu'elle fût de droite ou de gauche, qui jugea souvent le cinéma de Carné démoralisant ou démobilisateur. Mais, toujours, leur parcours les rend mythiques, même s'ils n'ont que dix-sept ans comme Nelly (Michèle Morgan, dans Le Quai des Brumes, 1938). Et, transformés en statues de pierre, ils continueront d'avoir le cœur qui bat : c'est la splendide dernière séquence d'un film inégal, Les Visiteurs du soir (1942). Les décors d'Alexandre Trauner, la musique de Maurice Jaubert ou de Joseph Kosma,[...]

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Écrit par

  • : membre du comité de rédaction de la revue Positif, critique et producteur de films

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Médias

Les Enfants du paradis - crédits : AKG-images

Les Enfants du paradis

<em>Les Enfants du paradis</em>, M. Carné - crédits : Pathé/ Album/ AKG-images

Les Enfants du paradis, M. Carné

Autres références

  • LE JOUR SE LÈVE, film de Marcel Carné

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    • 882 mots

    Classique français du « réalisme poétique » des années 1930, Le jour se lève vient après l'un des plus grands succès de Marcel Carné, Le Quai des brumes (1938), auquel il semble reprendre beaucoup d'éléments, aussi bien pour l'équipe (le dialoguiste Jacques Prévert, le...

  • ARLETTY LÉONIE BATHIAT dite (1898-1992)

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    Elle avait rencontré Marcel Carné, alors assistant de Feyder, sur le plateau de Pension Mimosas (1934). Préparant avec Jeanson l'adaptation du roman de Dabit, Hôtel du Nord, Carné souhaite équilibrer le couple désespéré formé par Annabella et Jean-Pierre Aumont avec le duo Jouvet-Arletty,...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

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  • FRANCE (Arts et culture) - Le cinéma

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    ...présent (l'Occupation) ou la guerre. Parmi ceux qui sont restés, Grémillon signe Lumière d'été (1943) et Le ciel est à vous (1944), tandis que Carné, toujours avec Prévert, tourne en Provence Les Visiteurs du soir en 1942 et commence en 1943 Les Enfants du paradis, coproduit par une firme italienne...
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