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DETIENNE MARCEL (1935-2019)

Marcel Detienne fut tout à la fois un philologue, un helléniste déconstructeur du « miracle grec », un anthropologue comparatiste, et un auteur à la plume allègre et mordante.

Né à Liège le 11 octobre 1935, après une première formation en cette ville, il poursuit ses recherches et fait carrière en France à l’École pratique des hautes études (EPHE), du début des années 1960 jusqu’en 1998, aux côtés de Pierre Vidal-Naquet et de Jean-Pierre Vernant. Il succède à ce dernier en 1975 à la section des sciences religieuses (EPHE, chaire des religions de la Grèce ancienne). Il achève sa carrière à Baltimore (université Johns Hopkins, dès 1992). Une bourse d’études l’avait introduit dans sa jeunesse à la bibliothèque Franz Cumont à Rome : il s’ensuivit un fort tropisme vers l’Italie, qui ne le quitta jamais.

Marcel Detienne - crédits : Gallimard/ Opale/ Leemage/ Bridgeman Images

Marcel Detienne

De ses collègues antiquisants à l’EPHE, au Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes qui devint ensuite le Centre Louis-Gernet, puis à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, qui succéda en 1975 à la section des sciences économiques et sociales de l’EPHE), ou de ses plus fidèles amis à Genève ou à Sienne (Philippe Borgeaud, Maurizio Bettini), Marcel Detienne se distingue par une orientation décidée vers le structuralisme, à l’écoute de Louis Gernet et surtout de Georges Dumézil et de Claude Lévi-Strauss. Dans l’étude des systèmes symboliques de la Grèce ancienne, il s’attache à la pensée singulière qui s’exprime à travers les mots, objets, gestes et pratiques révélés par les textes, les images et l’archéologie, en deçà de la mythologie qu’il dénonce comme étant une invention récente. À la façon des ethnologues, il applique aux Anciens une anthropologie « émique », au plus proche de leur façon de penser : les Grecs seront pour lui des « sauvages » parmi d’autres.

Dans une première période, séminale, Marcel Detienne s’essaie à ce qu’il appelle une sociologie de la littérature ancienne. Il repère, entre les Grecs d’Homère et d’Hésiode (Crise agraire et attitude religieuse chez Hésiode, 1963) et les fragments de la poésie lyrique ou des premiers penseurs, les modalités subtiles d’une reconfiguration totale de la société et de ses valeurs dans les cités grecques naissantes (Homère, Hésiode et Pythagore, 1962 ; La Notion de daïmôn dans le pythagorisme ancien. De la pensée religieuse à la pensée philosophique, 1963). Ces recherches culminent avec Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque (1967) : l’alèthéia (« vérité »), c’est, dans les poèmes épiques, déchiffrer l’invisible et faire advenir les choses, par la grâce du chant de l’aède, du savoir du devin ou du roi de justice. Mais bientôt, un poète lyrique comme Simonide de Céos usera de l’apatè (« tromperie »), amorçant unprocessus de laïcisation qui débouchera sur la peithô (« persuasion ») des sophistes et des orateurs, cependant que les premiers « philosophes » s’engagent sur le difficile chemin qui reconduit de l’apatè à l’alèthéia.

La question de la transition vers la cité égalitaire est simultanément débattue et précisée lors d’ateliers collectifs (Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, J.-P. Vernant dir., 1968). Et c’est ensemble que Vernant et Detienne publient en 1974 Les Ruses de lintelligence. La métis des Grecs, offrant au Centre Louis-Gernet la notion cardinale, concurrente du logos des philosophes, qui donna son nom à la revue Métis : les tours et les détours des savoirs pratiques. L’ouvrage propose aussi une méthode, l’étude du lexique et des images concourant à l’expression de cette « intelligence rusée » (le poulpe, « le cercle et le lien », etc.).

Mais déjà, après l’explosion de 1968, Les Jardins d’Adonis (1972) vont imposer, en clé structuraliste, le bouquet savoureux[...]

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Écrit par

  • : directrice d'études émérite, École pratique des hautes études, Paris

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Marcel Detienne - crédits : Gallimard/ Opale/ Leemage/ Bridgeman Images

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