MARCEL DUCHAMP. LA PEINTURE, MÊME (exposition)
Peindre autrement
Très vite cependant, l’exposition proposait une approche classique de la question : le suivi pur et simple de la chronologie amenait le visiteur des premiers dessins de presse de Duchamp au Grand Verre en passant par le Nu descendant un escalier (versions de 1911 et de 1912) avec chaque fois la volonté de contextualiser les tableaux par des œuvres qui leur étaient contemporaines (toiles de Picabia, Kandinsky, lithographies et toiles de Redon…). On retirait de ce parcours abondant à l’accrochage souvent contestable – pourquoi un Portrait d’Yvonne Duchamp de 1907-1909 dans une des toutes dernières salles ? pourquoi ne pas avoir présenté la fenêtre miniature La Bagarre d’Austerlitz (1921) et ne pas l’avoir mise près de Fresh Widow (1920) ? – l’impression que Duchamp avait consacré l’essentiel de son énergie à célébrer la technique picturale la plus classique et que l’invention du ready-made n’était qu’une anecdote dans cette religion retrouvée du tableau de chevalet. De ce point de vue, l’absence, et dans les salles et dans le catalogue, de la troisième version du Nu descendant un escalier datée de 1915 (une photo grandeur nature du tableau de 1912 retravaillée à la plume, au crayon, à l’aquarelle et au pastel par Duchamp lui-même) était un manque incompréhensible. Cette image emblématise en effet la sortie de la peinture et le maintien du tableau, une des stratégies inventées par Duchamp pour faire de la question de la peinture autre chose, justement, qu’une simple célébration du métier de peintre, que ce parcours ne rendait pas sensible.
L’exposition parisienne oubliait donc trop souvent que dans « la peinture, même/m’aime » tout visiteur un peu informé de l’œuvre de Duchamp aura aussi et nécessairement compris la « peinture, m’ », une formule qui laisse la place à nombre de mises à distance possibles, d’analyses critiques et d’irritations par rapport à l’objet pictural, le « m’ » de « tu m’ » ici repris ouvrant à certaines associations comme « la peinture m’embête » ou « la peinture m’ennuie ». Autant de nuances largement sous-estimées au Centre Georges-Pompidou.
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Écrit par
- Thierry DAVILA : conservateur au musée d'Art moderne et contemporain de Genève
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