GRIAULE MARCEL (1898-1956)
L’école Griaule et la primauté du mythe
Après la guerre, Griaule centre définitivement ses recherches sur les Dogon et leur consacre une douzaine de missions. Son objectif évolue également : il ne vise plus la saisie exhaustive de cette société, mais le dévoilement de ses fondements symboliques et mythologiques. Publié en 1948, son célèbre livre Dieu d’eau illustre ce tournant. Construit comme une chronique quotidienne des entretiens entre un ethnologue blanc et un vieux « sage » dogon, cet ouvrage de vulgarisation met en scène l’initiation de Griaule à la cosmogonie et au système symbolique qui, depuis des siècles, structureraient l’ensemble de la société dogon. En collaboration avec Germaine Dieterlen et Solange de Ganay, Griaule poursuivra jusqu’à sa mort cette quête d’un mythe originel de référence en synthétisant les discours de plus en plus complexes de ses informateurs privilégiés. Il faudra toutefois attendre 1965, neuf ans après la disparition de Griaule, pour que Germaine Dieterlen publie sous leurs deux signatures Le Renard pâle, ouvrage ardu présentant les derniers résultats de cette construction cosmogonique.
Une telle approche, connue sous le nom d’école Griaule, s’inscrivait initialement dans un mouvement légitime de revalorisation des traditions orales africaines et elle a inspiré plusieurs ethnologues de la génération suivante (Dominique Zahan, Viviana Pâques, Jean Servier…), mais elle n’a plus guère d’héritiers aujourd’hui. Occultant l’histoire, la réalité sociale, la littérature orale, les différences régionales et la diversité des discours individuels, elle reposait sur une conception dépassée des sociétés africaines, perçues à tort comme des ensembles homogènes et figés, gouvernés par des traditions immuables. De ce point de vue, l’école Griaule était à l’opposé de l’anthropologie dynamique, courant fondé dans les années 1950 par Georges Balandier pour penser les changements sociaux et politiques en contexte colonial. En dehors du milieu scientifique, les travaux de Griaule sur la cosmogonie dogon restent néanmoins une référence largement partagée, voire détournée, par tous ceux qui adhèrent à l’image d’une Afrique traditionnelle peuplée de sages ou d’initiés dépositaires de savoirs millénaires.
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Écrit par
- Eric JOLLY : anthropologue, chargé de recherche au CNRS, Institut des mondes africains
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