JANCO MARCEL (1895-1984)
Le village israélien d'Ein-Hod, sur le mont Carmel, à quelques kilomètres au sud d'Haïfa, était une ruine en 1953, quand Marcel Janco, venu de Roumanie à Tel-Aviv dès 1942, décida d'y fonder un village d'artistes. La beauté de ce lieu solaire, qui fait face à la Méditerranée, ses antiques racines grecques et romaines, le style arabe de ses petites maisons cubiques et sa population cosmopolite ont donné à Janco la possibilité de réaliser un rêve très ancien, celui d'un art dégagé du commerce, pensé et créé en communauté, avec la modestie des bons ouvriers et l'ouverture sur le monde d'une culture à vocation universelle. Cette entreprise a été un succès. Ein-Hod a fêté sa réussite par des nuits mémorables, dont a témoigné Georges Boudaille (« Janco, maire de Ein-Hod », in Les Lettres françaises, nov. 1963).
Janco dadaïste
Marcel Janco, né à Bucarest en 1895, avait été, dès 1910, lié aux jeunes poètes des revues Symbolul et Chemarea, fondées par Ion Vinéa (1895-1964) : ces publications représentaient l'avant-garde artistique de l'époque. Quand il commence, en 1915, ses études d'architecture à l'École polytechnique de Zurich, il a la chance de rencontrer quelques-uns des pionniers de l'art contemporain, notamment Hans Arp et Tristan Tzara. Il les retrouve fréquemment dans un petit café-concert, baptisé « Cabaret Voltaire », en compagnie de Hugo Ball, Emmy Hennings, Richard Hülsenbeck, Sophie Täuber et quelques autres. Outre ses propres créations, on y expose aussi des œuvres de Arp, Viking Eggeling, Otto Van Rees, Pablo Picasso, Arthur Segall, Wassily Kandinsky, Enrico Marinetti, Filippo Tommaso Prampolini et Filippo de Pisis. Janco est aussi, jusqu'en 1921, le décorateur des spectacles qui s'y jouent. Avec Sophie Täuber, il créé notamment des masques inspirés des arts africains et océaniens qui servent aux performances (Portrait de Tzara, 1919). Tout ce groupe fort agité prend le nom de Dadalors d'une séance au café Odéon, l'après-midi du 6 février 1916.
Zurich était alors une de ces villes neutres où se retrouvent marginaux, déserteurs, artistes de tous bords et de tous pays. On y mène la contestation verbale des sentimentalités nationalistes et des barbaries de la guerre. Ce dégoût va même jusqu'à « cracher sur l'humanité », selon le mot de Tzara, dans la Préface de La Première Aventure céleste de M. Antipyrine, illustrée de bois colorés par Janco (1916). Cette plaquette lance la fameuse collection Dada, dont un recueil de dix gravures sur bois de Janco sera préfacé par Tzara. La galerie Dada est fondée. Janco, avec Arp, est au premier rang des artistes du mouvement : ils font alors des tableaux-objets, des découpages de papier ou de tissu, et leur style tend à une sorte de purisme. On sait quel sera l'avenir de Hans Arp. Janco, plus proche de la leçon cubiste, réalise alors ses premiers reliefs de plâtre peint, comme Blanc sur blanc (1917) et Architecture (1918) et Soleil, jardin clair (1918).
C'est le sérieux cubiste de ses productions plastiques, où l'on ne trouve ni l'effervescence d'un Picabia, ni la liberté lyrique d'un Arp, qui va éloigner Janco de l'esprit dada. Il fonde à Bâle, en 1918, le groupe Das neue Leben, avec Arp, Baumann, Giacometti, Lüthy, Sophie Täuber-Arp... Ce groupe, augmenté de Richter, donne naissance au mouvement des « artistes radicaux », dont les manifestes seront publiés en 1919. Les « reliefs » de Janco sont fort appréciés. Il arrive même que, dans une exposition à Zurich, on les intègre aux murs.
Janco part pour Paris en 1921. Sa rencontre avec les futurs surréalistes – on en est encore aux agitations de Littérature – va lui donner une conscience plus nette de sa différence. « Déjà, a-t-il écrit, un monde nous séparait... après la blague lyrique,[...]
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Écrit par
- René PASSERON : directeur de recherche honoraire au C.N.R.S., président de la Société internationale de poïétique, membre de l'Académie internationale de philosophie de l'art, Genève
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