LEFEBVRE MARCEL (1905-1991)
Populaire défenseur de la messe en latin ou maurrassien impénitent, « Athanase du xxe siècle » ou « avocat obstiné d'une théologie attardée », Mgr Lefebvre a suscité toute une imagerie d'Épinal. Rend-elle bien compte d'une affaire qui eut un large écho, spécialement en France, et aboutit à un nouveau schisme dans l'Église catholique ? Né à Tourcoing dans une famille très pieuse le 29 novembre 1905, Marcel Lefebvre eut au sein de l'Église un itinéraire exemplaire. Admis au séminaire français de Rome en 1923, il est ordonné prêtre en 1929. Après un an en paroisse à Lille, il rejoint son frère René chez les Pères du Saint-Esprit. Au Gabon de 1932 à 1945, puis directeur du scolasticat de la congrégation, il est choisi par Pie XII comme vicaire apostolique de Dakar en juin 1947 et reçoit la consécration épiscopale des mains du cardinal Liénart en septembre. En 1955, le cardinal Tisserant vient l'introniser premier archevêque de Dakar. Délégué apostolique pour l'Afrique de l'Ouest (1948-1959), il participe activement à l'affirmation d'une Église africaine ; il a ordonné prêtre son successeur, le futur cardinal Thiandoum. L'heure du départ arrive néanmoins, en janvier 1962, pour un homme réticent vis-à-vis d'une décolonisation jugée prématurée. Transféré au modeste siège de Tulle, il est élu supérieur général des Spiritains dès août 1962. C'est ainsi qu'il se rend, en octobre, à la première session de Vatican II.
Le concile marque un premier tournant dans ce brillant parcours. Déjà isolé par son soutien à la « Cité catholique » de Jean Ousset et à la cause de l'« Algérie française », Mgr Lefebvre se range, à l'inverse des autres évêques français, dans la minorité conservatrice. Animateur du Coetus internationalis patrum (1964), il réclame une nouvelle condamnation du communisme et bataille contre la collégialité assimilée au « collectivisme », l'œcuménisme et la liberté religieuse, « apostasie légale de la société ». Mais, en 1963, il vote la réforme liturgique. Le futur censeur de la « messe de Luther » a aussi accepté les premières modifications apportées par Paul VI avant la refonte du missel d'avril 1969. En mai 1988, il reconnaît la validité de la nouvelle messe et la rupture n'est pas intervenue sur ce sujet. Le contentieux entre Mgr Lefebvre et Rome ne se réduit donc pas à la liturgie latine. Au demeurant, parmi les nombreux textes conciliaires, le prélat contestataire a toujours déclaré n'avoir rejeté que Dignitatis humanae et Gaudium et spes. Or l'après-concile voit se développer une accélération du processus de sécularisation et une « crise dans l'Église » (Paul VI). Mis en minorité dans sa congrégation, Mgr Lefebvre démissionne le 30 septembre 1968. Pourtant il ne renonce pas à « faire l'expérience de la tradition ».
Sollicité par neuf séminaristes, il ouvre en 1969 une maison d'accueil qui, installée à Écône (Suisse) l'année suivante, devient un véritable séminaire. Le 1er novembre 1970, Mgr Charrière approuve la constitution d'une Fraternité sacerdotale Saint-Pie X destinée à rassembler les futurs prêtres. Les évêques de France ne tardent pas à s'émouvoir devant une institution concurrente et indépendante. D'autant qu'entre 1970 et 1974 Mgr Lefebvre passe d'une vive critique de l'application des réformes à une mise en cause du concile lui-même et bientôt du pape. Le manifeste du 21 novembre 1974 dénonce « la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante, qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II ». Ce brûlot entraîne la réaction de Paul VI : au terme d'une procédure que Mgr Lefebvre conteste, la Fraternité est supprimée (mai 1975). En juillet[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Luc PERRIN : agrégé d'histoire, attaché d'enseignement à l'université de Paris-IV
Classification
Médias
Autres références
-
CATHOLICISME - La crise postconciliaire
- Écrit par Michel de CERTEAU
- 5 653 mots
L'affaire Lefebvre est déjà de l'archéologie. Elle a quitté le théâtre des mass media. Enrichis et confortés par le flash estival de 1976 qui les a un moment sortis de l'ombre, les réseaux traditionalistes reprennent leurs activités, dont l'histoire remonte au début de ce siècle. Leur recrutement s'est... -
CATHOLICISME - Le pontificat de Benoît XVI
- Écrit par Giancarlo ZIZOLA
- 5 815 mots
- 1 média
...l'abandon de l'esprit de croisade, le dialogue avec le mouvement œcuménique, avec la modernité, avec les autres religions, en un mot, le virage de Vatican II. Cette faiblesse expliquerait la vague de nominations d'évêques de tendance lefebvristes en Italie, en Allemagne, en Autriche et en France. De là viendrait... -
EXTRÊME DROITE
- Écrit par Jean-Yves CAMUS
- 12 042 mots
- 9 médias
Autre sous-culture, celle des catholiques intégristes regroupés majoritairement dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X fondée par Mgr Marcel Lefebvre, entrée en rupture avec Rome en 1988 et regardée par le Vatican comme une dissidence. Celle-ci n'est plus considérée comme schismatique au sens... -
INTÉGRISME
- Écrit par Émile POULAT
- 5 685 mots
- 1 média
Cependant, un événement a profondément modifié la situation : la décision de Mgr Lefebvre de consacrer quatre évêques le 30 juin 1988. Il s'est ensuivi leur excommunication par le pape Jean-Paul II et, dans cette situation de « schisme », un déchirement au sein de la mouvance traditionaliste...