MARIËN MARCEL (1920-1993)
Né à Anvers en 1920, fils d'un père wallon et d'une mère flamande, Marcel Mariën vient d'un monde social peu privilégié, à l'opposé de Max Elskamp, Marie Gevers ou Paul Willems. De cette origine modeste, peu propice à l'idéalisme et conjuguée à une enfance pluriculturelle, Mariën tire une haine du conformisme et des nationalismes de tout poil. Toujours aléatoires, ses moyens de subsistance l'amènent à exercer mille et un métiers, aussi divers que ceux de typographe ou de marin. Ces travaux, qui ne seront jamais des métiers, le confrontent aux vérités d'un monde qu'il apprend à approcher, sous le mode de la révolte et de la poésie, grâce à sa rencontre, en pleine jeunesse, avec les surréalistes belges. De la coexistence constante de ces deux types d'expériences — surréalisme radical et survie hors profession —, il ressort un mélange de trivialité (au sens fort) et de radicalité qui est presque unique dans le déploiement des pouvoirs conjugués de la poésie et de la pensée de langue française. Il s'agit en effet, pour Mariën, de trouver le mot juste, capable de ne pas altérer le réel, mais bien d'en dégager les vraies potentialités libertaires. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que cette œuvre soit polymorphe. Des contes ou des nouvelles dans Figures de poupe (1979) ou Les Fantômes du château de cartes (1981), par exemple ; des scénarios (L'Imitation du cinéma, 1959, et Tout est possible, 1961) ou des essais politiques (Quand l'acier fut rompu, 1957, et Théorie de la révolution mondiale immédiate, 1958) ; des poèmes (Malgré la nuit, 1940, ou L'Ancre jetée dans le doute, 1972)... Mais aussi des mémoires iconoclastes tel ce Radeau de la mémoire (1983) qui mit à mal l'hagiographie que la veuve et certains amis de Magritte tentaient de propager. En effet, Mariën n'hésite pas à signaler, dans ce livre, que son maître René Magritte survécut, durant la Seconde Guerre mondiale, en peignant de faux Ernst et de faux Picasso. N'était-ce pas lui déjà qui, en 1962, avait rappelé à l'ordre le “grand homme”, que la gloire et l'argent commençaient à détourner de la rigueur surréaliste, en imprimant un fascicule publicitaire qui annonçait un rabais de 50 p. 100 sur les œuvres exposées et vendues par le peintre au casino de Knokke ?
Pamphlétaire dans la pure tradition des surréalistes belges — sa production de tracts cinglants l'atteste —, Mariën, qui appartient à la seconde génération du mouvement, fut un acteur exceptionnel de cette aventure qui entendait miser sur un usage imparable et maîtrisé du langage, comme sur le refus de toute sujétion éditoriale. Fondateur et animateur, avec Christian Dotremont, dès les années 1940, d'éditions comme celles de L'Aiguille aimantée ou de périodiques comme Le Ciel bleu, Mariën trouve, dans les années 1950, au retour de ses périples de marin, les moyens de donner au surréalisme belge — et à sa propre œuvre — une assise éditoriale adaptée à la stratégie de guérilla qu'il entend déployer.
Qu'il s'agisse de la série Le Fait accompli ou de la revue Les Lèvres nues — fondée en 1954, elle devient aussi une petite maison d'édition qui publie par exemple l'œuvre de Paul Nougé —, c'est chaque fois à une formule souple et vivace que Mariën recourt pour incarner cette “Belgique sauvage” qui n'est pas du goût des notables. Nombre de collages réalisés au fil des ans y trouvent un moyen de diffusion parallèle au circuit marchand des galeries. Ils s'inscrivent dans le droit-fil de La Subversion des images de son mentor Paul Nougé. Mariën y détourne doublement les images convenues : par les ajouts, ablations, décalages et exactions qu'il y produit, d'une part ; par la cinglante étrangeté, d'autre part, qu'induit un jeu de[...]
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Écrit par
- Marc QUAGHEBEUR : directeur des Archives et du musée de la Littérature, Bibliothèque royale Albert-Ier, Bruxelles
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