RAYMOND MARCEL (1897-1981)
Écrivain et universitaire suisse de langue française, Marcel Raymond est l'auteur d'une des œuvres critiques les plus fécondes du xxe siècle. Après une licence d'histoire à Genève, il vient à Paris entre 1920 et 1925 travailler à une thèse sur L'Influence de Ronsard. Il retiendra de ce travail la nécessité d'être attentif au contexte historique des œuvres, et l'aptitude à brosser de vastes panoramas littéraires. Mais ses goûts et son tempérament de lecteur l'appelaient vers d'autres voies : il s'intéresse de près à la production littéraire contemporaine et cherche une approche critique qui tienne compte des forces obscures qui s'y expriment. Nommé à Leipzig comme lecteur en 1926, il découvre une université qui assume l'héritage du « romantisme des profondeurs », et qui propose d'ambitieuses synthèses entre les disciplines et les diverses formes de l'art. Cet exemple l'encouragera à se tourner vers une critique d'interprétation, associant au déchiffrement de l'œuvre la subjectivité du lecteur, sans abandonner son ambition historique, mais en envisageant l'histoire comme Geistesgeschichte (histoire de l'Esprit), et non plus comme une collection de faits. Son second livre, De Baudelaire au surréalisme (1933), brillant « tableau de tout le mouvement poétique contemporain », témoigne de ces orientations nouvelles. En dépit du peu de recul historique dont il disposait, Marcel Raymond y fait preuve d'une remarquable aptitude à dégager les différents courants littéraires qui ont marqué le début du siècle. À cette vision d'ensemble, il associe une perception très fine de l'originalité propre à chacun des poètes qu'il aborde. Enfin, à travers les œuvres étudiées, c'est une réflexion personnelle sur les pouvoirs de la poésie que Raymond propose, insistant sur cette « sensibilité métaphysique » et « métapsychique » qui permet au poète de découvrir un ordre du monde inaccessible à la science, et d'explorer « l'arrière-fond de l'esprit ». Qualités qui sont aussi celles de Marcel Raymond ; ce n'est pas un hasard si cette critique « d'adhésion » trouve son objet privilégié dans une poésie conçue essentiellement comme « participation ».
Nommé professeur à Genève en 1938, Marcel Raymond approfondira son investigation critique, au contact des œuvres les plus diverses, dans trois directions principales : une approche esthétique et philosophique de l'histoire littéraire, visant à définir « de grands états de culture » : traducteur de Wölflin, il contribuera notamment de façon décisive à la découverte de la littérature baroque (Baroque et renaissance poétique, 1955) ; une interrogation métaphysique personnelle, poursuivie à l'occasion d'un dialogue avec des esprits comme Valéry (1946) ou Fénelon (1967), et qui connaîtra une étape décisive lors de sa conversion (en 1950) ; une « phénoménologie existentielle » de quelques œuvres favorites, s'efforçant, à travers la description d'une façon d'être au monde et de certaines formes littéraires, de reconstituer l'aventure d'une âme (J.-J. Rousseau, 1962 ; Senancour, 1965).
Marcel Raymond fut ainsi l'un des initiateurs de la « critique de la conscience », « ainsi nommée parce que l'interprète tend à s'identifier à la conscience de l'auteur ou de l'œuvre ». La tâche critique suppose alors une sorte d'« ascèse », par laquelle le lecteur se dépouille de tout savoir extérieur à l'œuvre, et accède à un état de pure réceptivité. Il peut à cette condition être attentif aux détails significatifs qui doivent le conduire à ressaisir l'intention profonde de l'œuvre. Celle-ci se présente comme un « microcosme », à l'intérieur duquel tous les éléments se répondent, et dont la cohérence se constitue selon[...]
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Écrit par
- Michel COLLOT : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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