BERTHELOT MARCELIN (1827-1907)
La synthèse organique
Si Berthelot n'est pas le fondateur de la synthèse, il a développé et systématisé en 1860, dans sa Chimie organique fondée sur la synthèse, les essais dispersés de ses prédécesseurs et leur a donné une forte consistance doctrinale.
Durant la première moitié du siècle, la chimie organique procédait essentiellement par voie analytique. Les chimistes s'appliquaient surtout à isoler des composés purs et à définir, avec leurs propriétés, leur composition élémentaire. Cependant un certain nombre de molécules organiques étaient préparées au laboratoire par décomposition ou transformation d'autres corps. L'acide oxalique avait été produit en 1766 par oxydation du sucre (Bergman et Scheele) et en 1829 par l'action de la potasse caustique sur le bois (Gay-Lussac). L'année précédente, l'urée fut obtenue par pyrolyse du cyanate d'ammonium (Wöhler) ; puis l'acétone préparée par la distillation sèche des acétates alcalino-terreux (Péligot). Plus élaborées et proprement synthétiques sont les productions de l'alcool par Hennell en 1826 et surtout de l'acide acétique par Kolbe en 1845. Formé à partir d'espèces inorganiques, le produit final était identique à l'acide naturel préparé par distillation du vinaigre. La possibilité de créer artificiellement des corps organiques à partir des éléments était dès lors positivement attestée et venait contredire l'opinion d'anciens chimistes, comme Wallerius et Hermbstädt, pour qui l'art était inapte à imiter et encore moins à répéter les processus de la nature. Caractérisés, selon les termes mêmes de Berthelot, par une « extrême mobilité, leur physionomie particulière, la facilité avec laquelle les forces les plus faibles opèrent leur destruction », les corps organiques ne semblaient pouvoir naître que dans la matière vivante, où, comme Berzelius le notait en 1835, « les éléments paraissent obéir à des lois tout autres que dans la nature inorganique » ; on supposait donc dans l'univers organique une force vitale que Gerhardt invoque encore en 1842. Berthelot s'applique à ruiner cette hypothèse : « Bannir la vie de toutes les explications relatives à la chimie organique, [...] c'est ainsi seulement que nous réussirons à constituer une science complète. » Aussi s'efforce-t-il à produire au laboratoire des espèces organiques en usant de procédés analogues à ceux de la synthèse minérale. Avec une habileté consommée, il domine les « forces chimiques » dans maintes synthèses parmi lesquelles il faut retenir celles des corps gras (1854), de l'acide formique et de l'alcool éthylique (1855), de l'éthylène, de l'acétylène (1863), du benzène enfin (1866). Dans ses écrits doctrinaux, il se donne en pourfendeur du vitalisme, créant ainsi une légende « suivant laquelle, au seul nom de Berthelot, les fumées de l'obscurantisme se seraient brusquement dissipées ! » Il en fut bien autrement ; nombreux étaient les chimistes, avant lui, qui crurent la synthèse possible ; le propre de Berthelot fut de soutenir polémiquement la réduction de l'univers de la chimie à un déterminisme commun. Il inclinait aussi, il est vrai, à réduire les phénomènes physiologiques à une causalité purement chimique ; cette tendance apparaît dans sa contestation des vues pastoriennes sur les fermentations. Il lui manqua, mais il ne pouvait en être autrement, une conscience exactement informée de la spécificité des processus biochimiques et de leur énergétique propre.
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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