BERTHELOT MARCELIN (1827-1907)
La « mécanique chimique »
Dans son désir d'unifier, dans un même régime théorique, les « cycles de réactions qui permettent de produire à volonté tel type chimique et tel composé déterminé soit naturel, soit artificiel », Berthelot ne pouvait manquer de rechercher un principe universel d'analyse des actions chimiques. Il crut le trouver dans la thermochimie.
Les processus chimiques s'accompagnent généralement d'échanges thermiques plus ou moins intenses. On distingue classiquement les réactions exothermiques des endothermiques, selon qu'elles donnent lieu à un dégagement ou à une absorption de chaleur, compte tenu du travail relatif aux variations de volume. Les mesures thermochimiques sont une application de la calorimétrie ; elles ont atteint aujourd'hui une extrême finesse (microcalorimétrie de Tian et Calvet), à la suite de Berthelot, qui les a développées avec une grande habileté expérimentale ; on lui doit, entre autres dispositifs bien connus, une bombe calorimétrique pour la mesure des chaleurs de combustion à volume constant. C'est à partir de 1865 qu'il entreprend les études de thermochimie qui le conduiront à formuler en 1873 son « principe du travail maximal ». Lavoisier et Laplace avaient donné le premier énoncé quantitatif touchant à la thermochimie, postulé, il est vrai, sans vérification expérimentale ; Henri Hess procède à Pétersbourg aux premières investigations systématiques ; en 1840, il stipule comme une loi empirique la constance de la somme des effets thermiques dans le passage entre deux états donnés d'un système chimique, quelles que soient les étapes transitoires. Cet énoncé est une conséquence de la loi de la conservation de l'énergie formulée deux ans plus tard par J. R. Mayer et qui sera précisée en 1847 par Helmholtz. À la suite de Julius Thomsen, qui introduit les considérations précédentes dans l'interprétation des phénomènes thermochimiques, la chaleur de réaction mesure la différence de l'énergie d'un système avant et après la transformation. Ces vues ont conservé leur validité, et elles sont à la base du calcul des chaleurs de réaction dans de nombreux cas de processus organiques qui ne se prêtent pas à des mesures directes. Thomsen a encore noté que la chaleur de combustion des composés organiques est approximativement une grandeur additive de valeurs propres aux atomes et à des éléments structuraux qu'il n'était pas en son pouvoir de définir. Mais en prenant la chaleur de réaction pour une mesure de l'affinité chimique, il en vient à prétendre imprudemment que tout processus purement chimique libère de la chaleur. Publiées en 1854, les idées de Thomsen anticipent sur les thèses de Berthelot, qui, non sans mauvaise foi, récusera la priorité du chimiste danois. « Tout changement chimique accompli sans l'intervention d'une énergie étrangère tend vers la production du corps ou du système de corps qui dégage le plus de chaleur. » Tel est l'énoncé dans lequel Berthelot espérait avoir trouvé une loi fondamentale, et qui ne tardera pas à être vivement contesté. Il excluait la possibilité des décompositions exothermiques reconnues par P. A. Favre ; il rendait difficile l'interprétation des réactions réversibles, ce qui ne manque pas de piquant si l'on se rappelle que Berthelot fut le premier chimiste à avoir exactement étudié les réactions d'estérification, que limite le processus inverse d'hydrolyse. Critiqué sans ménagement par Duhem, entre autres, Berthelot tentera de sauver la validité de son énoncé par toutes sortes d'artifices intellectuels, attribuant le déficit calorifique des réactions endothermiques à des actions « purement physiques » connexes des processus « purement chimiques », aboutissant, en fin de compte, à des sommations de grandeurs hétérogènes. Aujourd'hui, le « principe du travail maximal » a perdu presque tout crédit ; on a certes reconnu qu'il implique une relation valable au voisinage du zéro thermique absolu, savoir que la chaleur de réaction équivaut[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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