MARCHÉ, économie
Marché et théorie
Pour lever cette indétermination, la théorie doit être complétée. Plusieurs voies sont – ou ont été – proposées. L'une d'entre elles consiste à prendre comme étalon, ou comme norme, le temps de travail passé à produire les biens. C'est la théorie de la valeur travail. Les prix fluctuent (ou gravitent) alors, au gré de perturbations passagères, autour de cette valeur. Cette théorie – dont se réclament notamment Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx et John Stuart Mill – pose néanmoins des problèmes, dont l'existence de types différents de travail (selon qu'il est plus ou moins qualifié) et du travail qui est incorporé dans les machines et les autres biens durables, en tant que capital (travail passé).
Une autre façon de lever l'indétermination du marchandage consiste à supposer la présence d'une entité extérieure aux candidats à l'échange – un secrétaire de marché ou commissaire-priseur – qui propose des prix et recueille les offres et les demandes à ces prix, puis cherche « en tâtonnant » les prix d'équilibre (qui égalisent les offres aux demandes, prises dans leur ensemble). Ce modèle – dit de concurrence parfaite, et auquel sont associés, entre autres, les noms de Léon Walras, Kenneth Arrow et Gérard Debreu – est généralement présenté comme celui du marché idéal, ou parfait, avec des prix qui varient sans contrainte au gré des offres et des demandes. Il est pourtant difficile de voir un marché dans ce système où il n'y a jamais d'échanges directs entre les participants – y compris pendant le tâtonnement (dont rien n'assure qu'il aboutisse, d'ailleurs) – et où aucun d'entre eux n'est autorisé à proposer des prix (seul le commissaire-priseur peut le faire). Pourquoi accorder alors une quelconque importance à ce modèle ? D'une part, parce qu'il est relativement simple au niveau du traitement mathématique (il se ramène à l'étude des fonctions d'offre et de demande, qui ne dépendent que des seuls prix) ; d'autre part, et surtout, parce que l'affectation des ressources par le commissaire-priseur à partir des offres et des demandes aux prix d'équilibre est optimale (il ne subsiste plus d'échanges mutuellement avantageux). Cette propriété souhaitable – d'un point de vue normatif –, et à laquelle est associé le nom de Vilfredo Pareto, n'est toutefois vérifiée que s'il y a un commissaire-priseur qui organise tout, et sans coût. Souvent, la métaphore, due à Smith, d'une « main invisible » bienveillante est utilisée à propos de l'optimalité des équilibres de ce modèle – ce qui est paradoxal, vu le rôle qu'y joue la main bien visible du commissaire-priseur.
D'autres représentations du marché – qui se veulent plus proches de la réalité – sont proposées par les théoriciens en introduisant des imperfections dans le modèle de concurrence parfaite. Tel est le cas des modèles du duopole (auxquels sont notamment associés les noms de Augustin Cournot, Joseph Bertrand et Heinrich von Stackelberg), de l'oligopole et de la concurrence monopoliste (Edward Chamberlin et Joan Robinson), où certains producteurs font des conjectures sur le comportement des autres – sans se contenter d'être des preneurs de prix passifs. Leurs croyances deviennent alors un élément essentiel des modèles. Ceux-ci gardent toutefois une forme d'organisation axée autour d'une figure de type commissaire-priseur, la plupart des intervenants étant supposés demeurer preneurs de prix ; sinon, on retombe fatalement sur un marchandage, et donc sur une indétermination.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard GUERRIEN : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Autres références
-
MARCHÉ (sociologie)
- Écrit par Valérie ASENSI et Gilles LAFERTÉ
- 1 310 mots
Le « grand partage disciplinaire » a longtemps réservé l’étude du marché à la science économique, ne démentant pas l’adage « les affaires sont les affaires » : sur le marché, l’esprit de calcul et, en particulier, de calcul économique primerait sur tout autre lien social. La...
-
ACTION RATIONNELLE
- Écrit par Michel LALLEMENT
- 2 646 mots
- 1 média
-
AGRICULTURE - Accès aux ressources productives
- Écrit par Michel MERLET et Olivier PETIT
- 7 339 mots
- 5 médias
Ailleurs,le développement d'autres instruments, comme les marchés de l'eau, permet d'autres configurations. Ces marchés désignent des transferts d'eau entre secteurs (irrigation et alimentation en eau potable par exemple) ou à l'intérieur d'un même secteur (irrigation). Bien que le terme de « marché... -
AUTRICHIENNE ÉCOLE, économie
- Écrit par Pierre GARROUSTE
- 1 607 mots
Pour les tenants de la tradition économique autrichienne, lemarché doit être analysé comme un processus et non comme un résultat. « À l'équilibre, il n'y a pas d'échanges », écrit Menger. Ses disciples vont insister sur cet aspect central. L'idée qui fonde cette conception est liée à la fois au subjectivisme... -
BIEN, sociologie
- Écrit par Michel LALLEMENT
- 627 mots
- 1 média
La science économique a longtemps revendiqué avec succès le monopole légitime de l’analyse des biens. Dans sa version dominante, elle rend compte de la production et de l’appropriation d’un bien privé, qu’il s’agisse d’une tomate ou d’un soin dentaire, en suivant les règles d’une institution,...
- Afficher les 54 références