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MARCHÉ (sociologie)

Le «  grand partage disciplinaire » a longtemps réservé l’étude du marché à la science économique, ne démentant pas l’adage « les affaires sont les affaires » : sur le marché, l’esprit de calcul et, en particulier, de calcul économique primerait sur tout autre lien social. La notion de marché s’est donc construite à partir d’hypothèses propres à la pensée modélisatrice de la science économique : atomicité des acteurs, homogénéité et divisibilité des biens, perfection de l’information, indépendance des relations d’échange, etc. Lieu de rencontre entre l’offre et la demande, le marché assurerait la meilleure allocation des ressources grâce à des mécanismes autorégulateurs. À l’inverse, la sociologie se définit comme une science de l’enquête qui ne peut se résoudre à styliser la réalité sous quelques hypothèses simplificatrices. Les sociologues, qui s’aventurent désormais sur les terres de l’économie, ont alors beau jeu de critiquer les économistes. De fait, les marchés concrets ne sont jamais les marchés que les économistes modélisent. La démarche empirique actuelle des sociologues réinterroge notre compréhension des marchés. C’est le programme de la « nouvelle sociologie économique » apparue aux États-Unis dans les années 1970 et en France dans les années 1980.

Les fondateurs de la sociologie s’étaient intéressés au marché : dans De la division du travail social, Émile Durkheim l’a décrit en 1893 comme l’un des éléments du processus de spécialisation et de division du travail propres aux sociétés modernes ; Max Weber l’a compris comme une forme sociale singulière, fondée sur l’échange et la concurrence, insistant sur le caractère impersonnel des forces du marché capitaliste, où les échanges des marchandises priment sur le statut des personnes. Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber développe l’hypothèse que l’éthique protestante a favorisé l’esprit du capitalisme, par la promotion d’une conduite de vie méthodique et rationnelle, ascétique et puritaine, favorable au travail et à l’épargne. Ainsi, les fondateurs ont saisi le marché comme une force de contrainte des sociétés modernes, imposant des relations impersonnelles, de concurrence, une rationalité calculatrice et une division du travail.

L’avènement du marché marque historiquement la progression d’une idéologie libérale. Alors que, sous l’Ancien Régime, les relations économiques étaient soumises aux relations sociales, Karl Polanyi constate combien les enclosures en Angleterre précipitent l’autonomie des marchés, avec la fin de l’accès aux communs pour les paysans et donc l’obligation pour les non-possédants de devenir travailleurs. Les marchés du travail et du foncier se développent à cette période. Progressivement, l’économie est prise dans un processus de « désencastrement » du social, comme le souligne Karl Polanyi dans La Grande Transformation (1944). L’ordre capitaliste et marchand se généralise dans le monde comme a pu l’observer Pierre Bourdieu dans le cadre de la colonisation (Travail et travailleurs en Algérie, 1963).

La sociologie des marchés est relativement jeune et donc encore en construction. Elle doit s’attacher à décrire la morphologie des marchés, en détaillant les acteurs du marché (nombre, ressources, etc.), les relations entre ces acteurs, et enfin la stabilité de ces formes relationnelles. La structure des acteurs sur le marché a été décrite par la théorie des champs, en particulier par Bourdieu dans Les Structures sociales de l’économie (2000) et par Neil Fligstein dans The Architecture of Markets : An EconomicSociology of Twenty-First-Century CapitalistSocieties (2001), mais la sociologie des réseaux ou des systèmes d’acteurs a trouvé en la sociologie économique un terrain d’élection. Sur le marché, les configurations[...]

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Écrit par

  • : professeure agrégée de sciences sociales, affectée à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
  • : directeur de recherche à l'I.N.R.A., Centre d'économie et de sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux