MARÉES NOIRES
L'indemnisation des dommages
La nature des dommages à indemniser est très variée. Les économistes distinguent, d'une part, le coût de la lutte, du nettoyage et de la restauration, d'autre part, des dommages économiques, marchands ou non. Ces derniers comprennent les pertes économiques, les pertes d'aménité (d'agrément) et, enfin, les dommages écologiques au sens strict. Pour des raisons de chronologie, et compte tenu de leur importance, les dépenses de lutte et de nettoyage sont traitées les premières. Ces travaux, en mer comme à terre, sont effectués par des organismes publics, des entreprises privées et des volontaires. L'État, qui en France assure la responsabilité directe des opérations dans le cadre des deux plans Polmar mer et Polmar terre, est conduit à avancer une grande partie des dépenses et à régler les entreprises sans attendre les versements du Fipol ou de l'assureur du navire. Pour cinq grands accidents (Amoco Cadiz, Haven, Sea Empress, Erika et Prestige), les coûts de nettoyage se sont élevés à près de la moitié du coût total (46 p. 100), les pertes économiques à un tiers (32 p. 100), les pertes d'aménité, évaluées pour l'Amoco Cadiz et le Sea Empress, à 15 p. 100 et les dommages écologiques stricts à 7 p. 100. Les opérations de nettoyage peuvent parfois apparaître après coup comme excessives et même se traduire par des déséquilibres écologiques supplémentaires. Dans certains cas, il aurait mieux valu laisser faire le temps et les énergies naturelles, qui sont plus lentes mais beaucoup plus douces que les techniques de nettoyage au Karcher ou au jet de vapeur.
Les dommages économiques proprement dits, correspondant aux pertes marchandes, sont relativement faciles à évaluer. Il s'agit de comptabiliser toutes les opérations marchandes qui ne se sont pas déroulées à cause de la marée noire, depuis les sorties des navires de pêche jusqu'à la moindre consommation de produits de la mer, en passant par le manque à gagner du tourisme (ce dernier poste étant plus difficile à identifier lorsque le mauvais temps persiste à l'approche de l'été).
Les pertes d'aménité ou d'agrément correspondent à l'ensemble des dépenses auxquelles les particuliers ont renoncé à cause de la marée noire, telles que les pêches à pied pendant les grandes marées, les excursions sur la côte, etc. Seules des enquêtes individuelles permettent de faire une estimation de ces montants qui sont loin d'être négligeables à en juger par une étude approfondie effectuée à propos de l'Erika (Bonnieux et Rainelli, 2002) et qui les évalue à environ 100 millions d'euros.
Reste un domaine sur lequel les économistes ont du mal à normaliser une méthodologie tant les situations sont diverses : c'est le cas des dommages écologiques non marchands (hors exploitation des ressources naturelles vivantes par la pêche et l'aquaculture) qui affectent les écosystèmes. À la suite du procès de l'Amoco Cadiz, la jurisprudence ne reconnaît pas l'indemnisation des pertes subies par la faune et la flore, au motif que ces ressources potentielles n'étaient pas exploitées. Le jugement de Chicago laissait néanmoins une porte ouverte, s'agissant des possibilités de reconstituer, par repeuplement de jeunes animaux produits en écloserie, une partie des pertes enregistrées. Le Fipol affiche une position toujours réservée, mais ne ferme pas totalement la porte à de telles demandes, dès lors qu'elles se fondent sur des opérations de restauration du milieu faisant appel à des techniques éprouvées et cela pour un niveau raisonnable de dépenses. L'intérêt accordé à la protection de la biodiversité donne une importance nouvelle à ce domaine qui est actuellement en pleine évolution. Preuve de cette évolution, le tribunal correctionnel de Paris,[...]
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Écrit par
- Lucien LAUBIER : professeur émérite à l'université de la Méditerranée, Marseille
Classification
Médias
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