MARELLE, Julio Cortázar Fiche de lecture
Un roman à la carte
Pour exprimer les grandes questions métaphysiques, il est nécessaire de « mettre à bas les formes usuelles » du roman, si l'on en croit Morelli, véritable double romanesque de Cortázar qui confie, au chapitre 79 de Marelle que l'un de ses projets et de ses rêves les plus constants est d'essayer de produire « un texte qui n'agresse pas le lecteur mais qui le rende nécessairement complice en lui susurrant, au-delà du développement conventionnel, d'autres directions plus ésotériques ». Et, comme pour donner plus de corps à cet embryon de « manifeste » littéraire, Morelli-Cortázar ajoute quelques conseils : « Le roman se satisfait d'un ordre fermé. En opposition totale, chercher également ici l'ouverture et dans ce but couper net toute construction systématique de caractères et de situations. Méthode : l'ironie, l'autocritique incessante, l'incongruité, l'imagination au service de personne ». D'une certaine façon, Marelle est en soi une réponse à ce « rêve » d'une littérature ouverte, ludique, humoristique et grave à la fois, affirmative et problématique, dont on pourrait chercher des équivalents chez certains surréalistes, chez Raymond Roussel, un des auteurs-fétiches de Cortázar, et aussi chez Raymond Queneau, pour ce qui est de la France. Et plus encore chez Macedonio Fernández et Jorge Luis Borges, en ce qui concerne l'Argentine, avec laquelle Cortázar n'a jamais coupé les ponts.
Peut-on aller jusqu'à parler d'« antiroman », comme l'ont fait certains critiques ? Certes, Marelle n'offre aucune trame conventionnelle, pratiquement aucune description, aucune analyse psychologique, aucune chronologie précise. En fait, Cortázar propose un roman « à la carte », qui peut se lire dans l'ordre (ou le désordre) que souhaite le lecteur, tout en introduisant un certain nombre de bouleversements dans l'écriture romanesque : « L'écrivain doit incendier le langage – lit-on dans une des innombrables discussions sur la création littéraire qui émaillent Marelle –, en finir avec les formes coagulées et aller encore plus loin, mettre en doute la possibilité que ce langage garde le moindre contact avec ce qu'il est censé mentionner [...] Car on peut difficilement construire une nouvelle représentation verbale de la réalité avec les recours de la vieille rhétorique narrative. » Ce qui passe – l'idée est aujourd'hui rebattue, mais Cortázar, après Borges, est un des premiers à l'ériger en postulat au sein de la littérature latino-américaine – par une participation active du lecteur et par la « destruction de ses habitudes mentales ».
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
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CORTÁZAR JULIO (1914-1984)
- Écrit par Jacqueline OUTIN et Jean-Pierre RESSOT
- 4 195 mots
- 1 média
Lors de sa parution en 1963, Marelle(Rayuela) provoque l'enthousiasme. Carlos Fuentes compare cette œuvre à la boîte de Pandore. Premier roman latino-américain à se prendre lui-même comme sujet central, il invite le lecteur à participer au processus créateur. En dehors de la vie d'Oliveira, à Paris...