ATWOOD MARGARET (1939- )
Raconter et interpréter
Margaret Atwood incarne rapidement le courant postmoderne qui conteste la véracité historique et les certitudes épistémologiques, et s'intéresse non seulement à l'art et à la culture populaires mais aussi au processus de création lui-même. L'écrivain fait siennes les préoccupations du postmodernisme (l'histoire, la mémoire, le mythe, la perception). Ainsi, dans Alias Grace (1996 ; Captive, 1998), une reconstruction d'un fait-divers violent du xixe siècle, dont les variantes se croisent et s'invalident mutuellement. Ou encore dans The Blind Assassin (2000 ; Le Tueur aveugle, ibid.), qui retrace l'évolution socio-économique depuis les années 1920 jusqu'à la fin du xxe siècle, du capitalisme débridé à l'émergence de syndicats puissants tout aussi dogmatiques que les patrons. Atwood fait siens également les modes postmodernes : l'instabilité générique, le réalisme magique, l'ironie et son corollaire la satire, ainsi que la parodie et la dérision souvent véhiculées par le burlesque. Bien avant sa ré-écriture burlesque des grandes épopées L'Iliade et L'Odyssée du point de vue de Pénélope dans The Penelopiad (2005 ; L’Odyssée de Pénélope, ibid.), adaptée ensuite à la scène et jouée par The Royal Shakespeare Company, ses recueils de textes brefs Murder in the Dark (1983 ; Meurtre dans la nuit, 1987) et Good Bones (1992 ; La petite poule vide son cœur, 1996) oscillent entre prose et poésie, voire entre fiction et commentaire sur la production fictionnelle. Tout comme The Blind Assassin et le recueil de nouvelles Moral Disorder(2006), ils dialoguent ouvertement avec des intertextes provenant soit des grandes œuvres de notre patrimoine qui sont démystifiées, soit de la culture populaire : bandes dessinées, publicité, contes populaires, littérature de gare.
S'inscrivant dans la tradition de H. G. Wells, George Orwell et Aldous Huxley, ses anti-utopies s'alignent sur les romans spéculatifs qui se contentent de radicaliser des faits existants et de les amener par extrapolation à leur limite extrême. C’est le cas de The Handmaid's Tale (1985 ; La Servante écarlate, 1987) qui sera suivi de The Testaments (2019 ; Les Testaments, ibid.), ou du triptyque formé par Oryx and Crake (2003 ; Le Dernier Homme, 2005), The Year of the Flood (2009 ; Le Temps du déluge, ibid.) et MaddAddam (2013 ; MaddAdam, 2014). Comme on le voit avec The Handmaid’s Tale, qui décrit une société totalitaire dont l’existence dépend de l’asservissement des femmes, il s’agit, à travers la fiction, de conduire une réflexion sur l'époque que nous vivons en mettant en évidence aussi bien les dangers des dogmatismes de toutes sortes que ceux des progrès technologiques et génétiques incontrôlés. Ses écrits se signalent également comme des remises en cause des conventions de l'écriture. Margaret Atwood construit ses romans tel un puzzle que le lecteur doit assembler grâce à des indices qu'il faut décoder et, dans les récits brefs qu'elle dépouille de tout énoncé, le discours prime sur l'événement. Qu'il s'agisse du questionnement sur la place de l'individu dans la cité ou sur les pratiques de l'écriture et de la lecture, on peut constater un recours constant à l'ironie, mode d'écriture consubstantiel au postmodernisme. Un goût pour la dérision sous-tend l'emploi récurrent de la litote et de l'exagération, si visible dans Oryx and Crake. Ces procédés sont la marque du caricaturiste. Mais on y décèle aussi un indéniable don poétique pour la sonorité et pour l'image insolite et saisissante.
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Écrit par
- Marta DVORAK : professeur de littérature canadienne et de littératures postcoloniales à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
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