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CASARÈS MARIA (1922-1996)

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Actrice française d'origine espagnole, Maria Casarès est née à La Corogne (Galice) le 21 novembre 1922. Elle appartient par son père à une famille fortunée, cultivée, ardemment républicaine et francophile, ce qui vaut à Santiago Casarès Quiroga des séjours en prison. La république, proclamée en 1931, le fait ministre, puis président du Conseil, mais, lorsque éclate la guerre civile, c'est en simple milicien qu'il combat sur le front de Guadarrama. Pour Maria, c'est la fin d'une enfance heureuse. Son caractère se trempe dans cette période capable, dit-elle, de « gorger une vie entière ». Exilée en France avec sa mère en 1936, elle ne reverra sa patrie que quarante ans plus tard. « Résidente privilégiée » (c'est le titre de son livre de souvenirs), elle a aimé sa terre d'exil, qui le lui a bien rendu.

À l'issue de sa deuxième année du Conservatoire national d'art dramatique, en 1942, le jury ne lui décerne, au scandale de l'assistance, qu'un premier accessit de tragédie et un second prix de comédie. Mais Marcel Herrand, codirecteur avec Jean Marchat du théâtre des Mathurins, sensible à son jeu et à sa personnalité, lui offre aussitôt le rôle-titre de Deirdre des douleurs de John Millington Synge. C'est une révélation, un triomphe renouvelé dans Solness le constructeur d'Ibsen. Maria Casarès n'oubliera jamais ce qu'elle doit à ses deux mentors : « Je suis née en novembre 1942 au théâtre des Mathurins... Ma patrie est le théâtre. » Longtemps, il lui faudra, pour entrer en scène, parvenir à « crever le mur de [sa] timidité [...] dominer [ses] terribles nerfs ». Elle est de ces comédiens, nombreux, toujours en proie au trac, mais peu pourraient dire comme elle : « Je ne pouvais pas choisir un texte au gré de ma fantaisie ou de la nécessité, il fallait que ce soit lui qui me choisisse. »

Orphée, J. Cocteau - crédits : Roger Corbeau/ Getty Images

Orphée, J. Cocteau

Alors qu'elle joue aux Mathurins, le cinéma également la révèle : Carné avec Les Enfants du paradis (1945), Bresson avec Les Dames du bois de Boulogne (1945). Son physique de brune tragique et ardente fait qu'on lui confie des rôles de femmes blessées dans leur amour, plus âgées qu'elle, qui a à peine plus de vingt ans. Cocteau fera de Maria Casarès la Mort dans Orphée (1950) et Le Testament d'Orphée (1960), et Christian-Jaque, dans son adaptation de La Chartreuse de Parme (1948), une somptueuse Sanseverina.

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Le Malentendu, que met en scène Marcel Herrand en 1943, lui fait connaître Albert Camus, qui comptera tant dans sa vie et dont elle interprète encore L'État de siège (1948) et Les Justes (1949). Elle se sent si bien au théâtre des Mathurins qu'elle s'impose de s'en éloigner par crainte de « la sclérose, [sa] plus grande épouvante ». Pour la même raison, elle ne s'attarde à la Comédie-Française (1952-1954) que le temps d'y être l'Elvire de Dom Juan et la Périchole du Carrosse du Saint-Sacrement. Le Théâtre national populaire la retient plus longtemps, quatre ans. Elle y participe à beaucoup des créations de Vilar et joue à ses côtés ou aux côtés de Gérard Philipe : tour à tour, elle est Lady Macbeth, Phèdre, la Princesse du Triomphe le l'amour, Marie Tudor... Les tournées du T.N.P. lui font découvrir le monde, dont la diversité l'exalte. Sans point d'attache ensuite, elle s'écarte du cinéma. On la revoit néanmoins dans La Lectrice de Michel Deville (1987) et dans deux téléfilms de Bernard Sobel, où elle est Hécube dans une esquisse de la pièce qui allait se monter et une Euménide dans la trilogie des Atrides.

Les metteurs en scène les plus divers, mais toujours les plus soucieux de rigueur intellectuelle et de probité professionnelle, l'ont recherchée. En 1966, Roger Blin lui donne le rôle clé de la Mère dans les Paravents de Genet ; elle reprend le rôle dans la mise en scène de Patrice Chéreau (1983), avec qui elle joue également Quai ouest de Bernard-Marie Koltès (1986). C'est avec Bernard Sobel et Jorge Lavelli qu'elle a fait les plus longs parcours. Entre 1988 et 1994, ce sont cinq créations au théâtre de Gennevilliers sous la direction de Sobel : la plus belle, Hécube d'Euripide (1988) où, vieille reine meurtrie, elle est d'un tragique bouleversant ; la plus surprenante, Threepenny Lear, soit Le Roi Lear (1993), où elle incarne le vieux monarque. Avant que Jorge Lavelli prenne la direction du Théâtre de la Colline, elle joue sous sa direction Le Conte d'hiver de Shakespeare (1980) – magique elle y figure le Temps – et La Nuit de Mme Lucienne de Copi (1985), où se révèle son sens du burlesque. Au Théâtre de la Colline, elle sert par deux fois l'auteur argentin Marco Antonio de la Parra, et surtout, avec amour, son cher Ramón del Valle-Inclán dans la vaste fresque de Comédies barbares (1991).

Si elle fut notre grande tragédienne, Maria Casarès a également révélé une veine ludique en incarnant le pape dans une pochade de Genet, Elle (1990), la même soirée où elle jouait la Mme Pernelle de Tartuffe (mises en scène de Bruno Bayen). « L'Espagne, disait-elle à Bernard Sobel, est le pays du tragique, du donjuanisme et du cocasse, du picaresque. Et cela va ensemble. On vit en Espagne, comme l'a dit Unamuno, avec le sentiment de la mort. Quand on a la conscience de la mort, on croque la vie comme une pomme. »

— Raymonde TEMKINE

Bibliographie

M. Casarès, Résidente privilégiée, Fayard, 1980

« Une familiarité ancienne avec la tragédie », entretien avec Dominique Rabourdin, in Océaniques Magazine, nov. 1988, repris dans Théâtre/Public, no 88-89, juill.-oct. 1989

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« Maria Casarès », entretien avec Bernard Sobel et Michèle Raoul-Davis, in Théâtre/Public, no 96, nov.-déc. 1990.

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

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Média

Orphée, J. Cocteau - crédits : Roger Corbeau/ Getty Images

Orphée, J. Cocteau

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