MARIAGE
Tenir un discours cohérent, raisonné, réflexif sur la notion de mariage relève de la gageure philosophique. Aux difficultés théoriques inhérentes au problème de la régulation de l'affectivité s'ajoute la difficulté toute particulière qu'introduisent dans le champ réflexif des disciplines apparues au xxe siècle telles que les sciences humaines et politiques. Non qu'elles ne permettent pas une mise à distance du phénomène social et institutionnel, mais elles ne sont pas capables d'en rendre compte ni surtout d'en élaborer une critique positive, et leur impuissance fait problème. Quant au philosophe, devant l'institution du mariage, il est désarmé ; le plus souvent, ce lui est l'occasion, sous prétexte de critique, de réaffirmer, parfois à son insu, ses propres options. Ce piège spéculatif – mais aussi spéculaire, c'est-à-dire qui concerne sa propre image – est inévitable : le mariage concerne de trop près quiconque, marié ou non, s'attache à en parler. Compte tenu de cette démarche nécessairement projective, une certaine prudence théorique s'impose.
Avant d'exposer la force normative du mariage, sa constitution en droit, on peut du moins espérer, en guise de précautions critiques, prendre ses distances face à la question grâce tout d’abord à l'approche anthropologique, et tenter aussi de faire une critique des leurres auxquels les conceptions modernes du mariage se laissent prendre : leurres que n'empêchent nullement les démarches scientifiques, les acquis des sciences humaines, les progrès de l'histoire des idées et des institutions. Les ambiguïtés et les résistances du phénomène « mariage » face à l'analyse rigoureuse laissent bien voir en tout cas qu'il ne saurait être évalué en parfaite lucidité : ici, la « neutralité » serait un mythe supplémentaire.
Approche anthropologique
Au risque de heurter une sensibilité façonnée par le christianisme, les études des ethnologues constatent que les systèmes de parenté fonctionnent indépendamment de l'existence du couple. Elles montrent, en effet, que les relations entre les hommes et les femmes sont réglées par les groupes qui contrôlent la répartition des femmes en instituant le tabou de l'inceste et la loi de l'exogamie. La nature impose l'alliance en exigeant la survie de l'espèce, mais c'est la culture qui en conditionne les déterminations. Ainsi, d'après Claude Lévi-Strauss, les femmes deviennent l'objet d'échange, de communication entre les mâles du groupe, au même titre que les biens économiques et les mots du langage.
Les femmes sont donc des signes qui se distinguent des autres signes en ce qu'elles sont en même temps producteurs de signes et, en ce sens, elles constituent un pont entre la nature et la culture. Lévi-Strauss insiste sur l'aspect économique et social de la sexualité primitive : il faut faire survivre le groupe en conservant les biens par l'échange, en lui donnant des enfants.
Relativité des modèles dans le système de parenté
Dans différentes sociétés le mariage recouvre un échange de femmes, une alliance de clan à clan (c'est le cas du mariage coutumier dans certaines régions d'Afrique, par exemple le Togo du Nord), un système de parenté, non un couple à proprement parler. Il comporte un certain nombre de rôles différenciés, mais s'effectue hors de toute relation affective et hors de tout dialogue. Dans une étude sur le mariage au Sénégal, Luc Thoré notait que la communication verbale entre mari et femme est quasi inexistante, alors que le dialogue du frère et de la sœur, de la mère et du fils est souvent abondant. En effet, la réserve entre époux, corrélative ou non de la ségrégation entre un monde masculin et un monde féminin, paraît être constante dans les sociétés africaines. Par-delà les différences entre régime[...]
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Écrit par
- Catherine CLÉMENT : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université
- Catherine LABRUSSE-RIOU : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, agrégée de droit privé
- Marie-Odile MÉTRAL-STIKER : docteur en philosophie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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