LARRA MARIANO JOSÉ DE (1809-1837)
L'Espagne malade
Sa versatilité, son goût pour le dédoublement, l'obligation de berner la censure gouvernementale le portent à user de pseudonymes, dont l'un, « Fígaro », sera retenu par la postérité, de préférence au Duende satírico del día (Le Lutin satirique moderne) ou au Pobrecito Hablador (Le Pauvre Babillard), titres de deux revues éphémères qu'il avait créées. Il abandonne à son compatriote Mesonero Romanos la peinture de mœurs qui égratigne élégamment des travers bénins ; de fait, il s'inspire de Balzac en introduisant en Espagne la technique littéraire des « physiologies », appliquée notamment aux carlistes (plantes parasites et proliférantes), ou aux esprits supérieurs (« hommes-montgolfières ») qui font si cruellement défaut à l'Espagne. Le costumbrismo de Larra est à dérivations successives ; il devient réflexions morales ou politiques, quand il ne signifie pas, pour Fígaro, recherche désespérée de soi. Si les dégénérés du « beau monde », calaveras (viveurs cyniques et fanfarons) et señoritos (rejetons de grandes familles), sont malmenés, c'est que Larra, aristocrate lui-même, ne déteste que ses pairs. Il n'entend pas définir, quatre-vingts ans avant Unamuno, l'essence de l'Espagne éternelle, même si le savetier ou le castellano viejo (le castillan de vieille roche, patriote à tout crin) appartiennent au Siècle d'or autant qu'au xixe siècle. L'Espagne de Ferdinand VII et de Marie-Christine, privée d'une élite éclairée, s'abandonne pour l'heure à l'obscurantisme, à l'ineptie et au laisser-aller ; une société nivelée se constitue, envahie par les classes moyennes (« employés et prolétaires décents »). Croquis et interprétations d'une Espagne réduite à Madrid et amputée du peuple des campagnes et des ouvriers d'industrie, les articles de Fígaro forment également une chronique politique par allusions et commentaires ; plusieurs sont inspirés par la hantise du carlisme et la défense de la liberté de la presse. En 1834, Larra est sur le point de mener son combat depuis la tribune des Cortès ; la ruine de son projet aggrave son désarroi sentimental ; son échec est celui de tout le libéralisme espagnol ; son utopique idéal politique se désagrège ; Fígaro meurt de n'avoir pu concourir à la régénération de l'Espagne.
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Écrit par
- Jean-René AYMES : professeur d'espagnol à l'iniversité François-Rabelais, Tours
Classification
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