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LARRA MARIANO JOSÉ DE (1809-1837)

Explorations littéraires

Paradoxalement, c'est la censure gouvernementale, non pas implacable mais arbitraire, qui, obligeant à la ruse, permet à Larra d'exercer avec brio son ironie. Artiste du langage, il est tout à la fois pionnier et fossoyeur. Il rompt avec les conventions du style journalistique en amalgamant de multiples procédés d'expression : dialogues impromptus, aphorismes, boutades, apartés, digressions... Puriste au point d'ébaucher un traité de synonymes de la langue espagnole, il taille en pièces cependant les phrases moulées et les métaphores consacrées par l'usage.

Maladivement enclin à douter et à détruire, ce champion de la sincérité, ce détracteur de la « littérature réduite aux ornements du beau-parler » renie implicitement sa chétive production poétique. Il est vrai que ses épigrammes et anacréontismes doivent beaucoup à N. Moratín, à M. J. Quintana ou à J. Meléndez Valdés. À peine le sonnet A una ramera que tomaba abortos (À une prostituée qui prenait des abortifs) tranche-t-il par son cynisme gouailleur sur le convenu et la pâleur des autres compositions peuplées de nymphes, de Philis, de roses et de zéphyrs.

Dans le domaine de la création dramatique, Larra émerge peu à peu de l'impersonnalité. Des goûts banals, ou des préoccupations financières, l'inclinent tout d'abord à traduire ou adapter des pièces d'E. Scribe, de C. Ducange et de C. Delavigne, où triomphent de prosaïques vertus bourgeoises. Un troubadour galicien du xve siècle, victime d'un impossible amour, inspire, en 1834, le drame Macías et le roman El Doncel de don Enrique el Doliente (Le Damoiseau de Henri le Dolent) : le héros médiéval, chargé des souffrances de l'auteur, se transfigure en rebelle romantique dressé contre les lois du mariage qui enchaînent les sentiments et contre les lois du vasselage qui créent une insupportable dépendance.

Les critiques littéraires de Fígaro font assister à l'agonie de ses principes néo-classiques et au triomphe, sur la scène madrilène, du théâtre romantique de Martínez de la Rosa (Aben Humeya) et de García Gutiérrez (El Trovador). Larra, désarçonné, déclare bientôt compatibles la référence à l'histoire ancienne et l'intrusion du fantastique, l'ordonnance raisonnable de la pièce et l'irruption brutale du hasard, l'exigence de la vérité psychologique et la souveraineté de l'imagination.

Les écrivains espagnols de la génération de 1898, dont Fígaro serait le précurseur, ont admiré Larra confusément : « Il n'est – selon Azorín – ni libéral, ni réactionnaire, ni accommodant, ni intransigeant ; il n'est rien et il est tout. » Refusant de voir en lui une simple incarnation d'un romantisme suranné ou le témoin d'un passé révolu, notre époque a redécouvert – et défend volontiers – son patriotisme exigeant et son « progressisme d'avant-garde » – selon la formule du romancier Juan Goytisolo – sans minimiser cependant la force pénétrante de son ironie, ni discuter la justesse du diagnostic qu'il porte sur les maux de l'Espagne.

— Jean-René AYMES

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Écrit par

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