BLAIS MARIE-CLAIRE (1939-2021)
Le roman des anges déchus
Les personnages de Marie-Claire Blais ne souffrent pas seulement d’un mal de vivre ; ils évoluent à rebours d’une société conformiste et hostile aux marginaux de toutes sortes. Cette constante est propre notamment à la trilogie formée par Manuscrits de Pauline Archange (1968), Vivre ! Vivre ! (1969) et Les Apparences (1970). Et si l’auteure assume le titre de romancière, elle n’en reste pas moins attachée à la fonction poétique du langage, comme en témoigne le symbolisme d’Une liaison parisienne (1975). Cette année de publication marque en outre son retour dans « la belle province », avec un ancrage à Montréal. Elle fait d’ailleurs de la ville des jeux Olympiques de 1976 le cadre d’une nouvelle trilogie engagée avec Les Nuits de l’Underground (1978), prolongée par deux nouvelles œuvres primées : Le Sourd dans la ville (1979, prix littéraire du Gouverneur général) et Visions d’Anna (1982, prix Anaïs-Segalas, décerné par l’Académie française). Sans jamais désespérer de l’humain, Marie-Claire Blais rassemble dans ses récits poétiques les lambeaux de l’homme moderne, en proie à la tentation de la chute et du vide, une fois le temps de l’enfance sauvage révolu. Cette poétique assumée trouve son plein épanouissement aussi bien dans Pierre (1986) que dans L’Ange de la solitude (1989).
Parce qu’elle aime alterner les climats, Marie-Claire Blais choisit de mener une double vie entre son Québec natal et Key West, en Floride. Curieuse de la singularité de chacun, elle fait le pari d’embrasser l’humanité jusque dans son destin postmoderne, en choisissant comme point d’ancrage de l’ambitieux cycle romanesque qu’elle va mener à bien une île située au beau milieu de la mer des Caraïbes. Car « chaque être humain a droit à sa voix ». Soifs (1995) ouvre sa « trilogie des temps modernes » en brassant une multiplicité de vies écorchées. Ce récit en une seule phrase tient à la force du rythme et des images. Toutefois, l’immense projet blaisien, qui compte près de deux cents personnages de toutes provenances, va déborder son cadre initial. Basculant dans le troisième millénaire, l’auteure veut faire dire à ses personnages non seulement ce qu’ils ont vécu mais ce qu’ils ont retenu de l’époque contemporaine. Le deuxième volet, Dans la foudre et la lumière (2001), fait ainsi écho aux traumas collectifs du xxe siècle tels que l’extermination des Juifs au camp de Bergen-Belsen, le bombardement d’Hiroshima ou la guerre du Vietnam. Marie-Claire Blais transforme le roman en « toile », en espace virtuel où le pire et le beau, les malheurs de la condition humaine et ses plus belles réalisations se confrontent. Augustino et le chœur de la destruction (2005) poursuit dans cette veine polyphonique tandis que, sous une forme théâtrale cette fois, l’écrivaine retisse cette idée de rassemblement sur un espace insulaire de corps étrangers les uns aux autres avec Noces à midi au-dessus de l’abîme (2007).
L’écriture de Soifs constitue un tournant dans l’œuvre de Marie-Claire Blais qui n’aura de cesse d’en retrouver les personnages au fil des ans : Naissance deRebecca à l’ère des tourments (2008), Le Jeune Homme sans avenir (2012), Aux jardins des acacias (2014), Le Festin au crépuscule (2015), Des chants pour Angel (2017) et enfin Une réunion près de la mer (2018). Comme si elle ne pouvait plus se passer de ses doubles, ses semblables, ses frères et sœurs d’utopie et de désespoir.
Marie-Claire Blais meurt à Key West (Floride), le 30 novembre 2021.
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Écrit par
- Antony SORON : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
Classification
Média
Autres références
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CANADA - Arts et culture
- Écrit par Andrée DESAUTELS , Roger DUHAMEL , Marta DVORAK , Encyclopædia Universalis , Juliette GARRIGUES , Constance NAUBERT-RISER et Philip STRATFORD
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Marie-Claire Blais (Tête blanche, La Belle Bête, Une saison dans la vie d'Emmanuel) nous plonge dans un monde noir, sans espoir de rédemption. Les êtres se déplacent dans un univers irréel, plongé dans une atmosphère sulfureuse. Ce fantastique morbide atteint à une poésie sauvage et désolée ;... -
QUÉBEC - Littérature
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Jean-Louis JOUBERT et Antony SORON
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Marie-Claire Blais (1939-2021) et Anne Hébert (1916-2000), deux écrivaines qui ont en commun le goût du fantastique, peignent un Québec sombre sur lequel pèsent la fatalité du sang et l’ombre de puissances surnaturelles. L’univers de la première, grinçant et morbide, prenant le contre-pied du roman...