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DELCOURT MARIE (1891-1979)

Née à Ixelles, Marie Delcourt faisait partie du petit groupe de femmes qui, à l'époque, entreprenaient des études universitaires et scandalisaient la bourgeoisie belge en accédant à des fonctions magistrales dans l'enseignement supérieur. Dans le milieu provincial d'une université aussi conservatrice que celle de Liège, où tout refus de conformisme semble être une profession d'anarchisme, sa liberté de mœurs et d'esprit lui ont assigné d'emblée un rôle marginal, guetté par des provocations aussi faciles qu'attendues. Toutefois, Marie Delcourt n'était ni Anaïs Nin ni Emma Goldmann. Éditrice de manuscrits astrologiques grecs et de liasses de lettres d'Érasme de Rotterdam, elle œuvre dans un domaine en apparence étrangement désuet – l'internationale humaniste –, quand, après les années 1930, il faut faire face à la « crise des humanités ». Le divorce entre la philologie et la culture est consommé depuis longtemps. Mais c'est encore l'époque où les philologues qui « s'occupent » des textes anciens supportent mal l'ironie des opposants de l'intérieur. Surtout quand, à des ouvrages de haute vulgarisation, telles les biographies d'Euripide, d'Eschyle et de Périclès, s'ajoutent des notes de lectures et de voyage ou un livre de cuisine à l'usage des intellectuelles aux revenus modestes, composé pendant la Seconde Guerre mondiale en réponse aux restrictions alimentaires décidées par l'occupation allemande.

Plus que la familiarité avec Eschyle et Thomas More, c'est le projet d'une analyse psychologique des phénomènes religieux qui donne à l'œuvre de Marie Delcourt son orientation majeure et aussi son écriture, depuis les Stérilités mystérieuses et naissances maléfiques dans l'Antiquité (1938) jusqu'à Pyrrhos et Pyrrha (1965), à travers l'exploration des souterrains de la maison d'Œdipe (Œdipe ou la légende du conquérant, 1944), l'inventaire des Mythes et des rites de la bisexualité (Hermaphrodite, 1958), le récit des boiteries du forgeron Héphaïstos (1957) ou des malheurs d'un parricide dénaturé. La sociologie durkheimienne invitait à conceptualiser, dans un domaine où les spiritualismes avaient fait le désert, ne laissant à la mythologie que le charme de fantaisies individuelles ou la pauvreté d'un intellect sous-développé. Pour Marie Delcourt, comme pour Louis Gernet, le seul helléniste sociologue qu'elle ait eu pour contemporain, les mythes sont des institutions de la société et les motifs mythiques des révélateurs d'un « inconscient social ». La légende du conquérant, celle d'Œdipe, recèle des résidus institutionnels sous les thèmes et les motifs. À travers les aventures du héros thébain, l'analyse repère de véritables « sacrements » archaïques, ceux qui confèrent à un homme la qualité royale. Mais il n'y a pas de thèmes sans rites. Et les rites, seul moyen d'atteindre une préhistoire du pouvoir royal chez les Grecs, sont étrangement silencieux et actifs, aussi longtemps qu'ils sont observés, obéis, respectés. Le vif désir de persuader ne peut naître que d'un manque. Pas de narrations sans des conteurs mobilisés par la désaffection de coutumes et de traditions. Pour que commence la fabulation, il faut des « gardiens très intéressés ». Le rite disparu, la fable composée pour le défendre trouve son autonomie. Par-delà les actes, les noms propres deviennent des personnages, des personnes et enfin des caractères. L'hypothèse formulée par Marie Delcourt est que plus les liturgies s'effacent, plus leur transcription en narrations se fait active. Aux mythologues d'explorer la zone obscure où les pratiques perdent leur sens ancien, où les premiers récits se balbutient, tandis que déjà les poètes s'en emparent pour leur donner un sens auquel nul n'avait encore pensé.[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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