CHENU MARIE-DOMINIQUE (1895-1990)
Marie-Dominique Chenu, fils d'un petit industriel, est né près de Paris, à Soisy-sur-Seine. Pur hasard, dans cette même commune, les dominicains, exilés en Belgique depuis 1903, installeront le couvent d'études de la province de France quand ils rentreront à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Attiré par la vie religieuse, soucieux d'un ordre à la fois intellectuel, contemplatif et apostolique, le jeune Chenu entre chez eux, où il reçoit toute sa formation à l'école de saint Thomas d'Aquin.
Léon XIII avait poussé au renouveau du thomisme, mais sans trancher entre les écoles. Chez les dominicains, face à la tendance dominante, spéculative et déductive, commença de s'affirmer un courant historicisant : saint Thomas devait être replacé dans le mouvement intellectuel de son siècle, à la manière dont les exégètes s'occupaient à situer la Bible dans l'histoire et les civilisations du Proche-Orient. Historien-né, le père Chenu pouvait s'appuyer sur l'exemple de deux grands dominicains, Mandonnet et Lagrange, puis, bientôt, sur les encouragements d'Étienne Gilson, de onze ans son aîné. De là son premier livre important, La Théologie comme science au XIIIe siècle.
À ses travaux, il ajoute un rôle d'animation : régent du couvent d'études de la province dominicaine de France-le Saulchoir en 1932, érigé par le Saint-Siège en facultés canoniques, dont il est nommé recteur ; fondateur à Montréal (Canada) de l'Institut d'études médiévales, puis, avec le cardinal Tisserant, de l'Institut d'études orientales au Caire. En 1937, il présente 1'esprit de ces efforts dans un petit livre, Une école de théologie, le Saulchoir, qui émeut à Rome les milieux théologiques : en 1942, il sera mis à l'index et destitué de ses fonctions.
Désormais, il s'abandonne à son autre vocation, le soutien spirituel de ceux – prêtres ou laïcs, hommes et femmes – qui sont engagés à la pointe de l'Église, dans l'Action catholique ou missionnaire, en pleine connivence avec ses frères dominicains des éditions du Cerf et de La Vie intellectuelle. Le temps où il est condamné est aussi celui où naissent la Mission de France (1941), puis la Mission de Paris (1943) et bientôt les prêtres-ouvriers, sans oublier « Économie et humanisme » du père Lebret, qui lui révèle l'importance des problèmes économiques. Un essai sur La Spiritualité du travail (1942), amplifié, deviendra Pour une théologie du travail (1955). Et puis l'amitié de François Perroux l'appelle parmi ses collaborateurs du tome IX, « L'Univers économique et social » (1960), de la grande Encyclopédie française.
À Rome, cette agitation française inquiète : elle sent le modernisme. La tension atteint son point maximal en 1954 autour des prêtres-ouvriers, dont Pie XII a personnellement décidé la suppression. Les dominicains sont suspectés de connivence et de résistance. Leur maître général remplace d'autorité les trois provinciaux français et exile quatre théologiens notoires : Chenu, Congar, Féret et Boisselot.
Pour la seconde fois, le père Chenu accepte en silence. Pie XII meurt en 1958. Jean XXIII convoque un concile. Congar y sera appelé comme expert. Chenu y viendra en position plus modeste mais tout aussi influente : comme théologien d'un évêque de Madagascar qui avait été son élève. C'est à lui, en particulier, que reviennent l'idée et le texte d'un message du concile « à tous les hommes, à toutes les nations » qui, au seuil de ses travaux, en expliquerait le sens dans un langage simple. Légèrement amendé par la présidence, le message au monde fut voté après un bref débat le 20 octobre 1962.
Dans ce texte court – quinze alinéas –, on peut lire en filigrane les difficultés qui attendent le concile et l'après-concile[...]
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Écrit par
- Jean JOLIVET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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