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LAFON MARIE-HÉLÈNE (1962- )

Marie-Hélène Lafon - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

Marie-Hélène Lafon

Marie-Hélène Lafon, née le 1er octobre 1962 à Aurillac, est une fille de paysans du Cantal. Elle a grandi sur le plateau du Cézallier, à 1 000 mètres d’altitude, fait ses classes lycéennes dans un pensionnat religieux, à Saint-Flour, avant d’entreprendre des études de lettres à la Sorbonne, où elle a soutenu une thèse consacrée au romancier et folkloriste Henri Pourrat. Agrégée de grammaire, elle enseigne dans un collège parisien. Elle partage sa vie entre Paris et sa maison du Cantal.

Le sentiment géographique

« Creuse sur place. Ne glisse pas ailleurs » (Robert Bresson). L’injonction figure en épigraphe de Liturgie (2002), recueil de nouvelles qu’elle publie à la suite du Soir du chien (2001), son premier roman. On pourrait en élargir la portée à l’ensemble de l’œuvre. Le terreau narratif de Marie-Hélène Lafon, la géographie physique et humaine qui nourrit ses livres, c’est en effet ce canton haut perché d’où elle vient. Le Cantal, avant d’être un pays, est pour elle une réalité physique, quasi humorale : « On le déglutit, on le suinte, on le suppure. » Sous la forme d’un abécédaire, Album (2012) en restitue la réalité sensible, de la météorologie, avec la nuit ogresse qui monte, jusqu’aux objets modestes et emblématiques – bottes, couteau, journal, tracteur – d’une culture matérielle autochtone. Idéalement, il faudrait en rester là, à ce simple relevé sans histoire(s) des lieux, des travaux et des jours. Ainsi, dans Sur la photo (2003), des faits, des moments sont posés. Les phrases sont courtes, s’en tiennent au constat. Il y a ces petits animaux, par exemple, dont le corps reste collé aux pneus du tracteur lors du fauchage. Les nouvelles réunies dans Organes (2006) prolongent l’ambition de restituer une part de réel, en particulier sous la forme de brèves « scènes de la vie de province » : les travaux des champs sont évoqués, ainsi que les moments rituels de la communion, du mariage ; et le ton satirique domine pour les souvenirs, entre cruauté et bigoterie, des années de pensionnat.

Mais l’Histoire a forcé son chemin dans cette géographie pérenne, dans les vieilles façons paysannes d’être et de faire. Un lent et sûr séisme les a ruinées : l’exode rural, dont Marie-Hélène Lafon et sa famille ont subi le contrecoup. Elle fait ainsi partie de ces écrivains qui, comme Pierre Michon, Pierre Bergounioux et Richard Millet, ont reçu « la province en héritage », pour reprendre le titre du livre fondateur de Sylviane Coyault. Une province en mauvais état, crépusculaire, où ceux qui restent ont perdu l’énergie d’être fiers. Or à ceux-ci, il faut « faire honneur », car c’est ainsi que Marie-Hélène Lafon conçoit l’héritage en question. Pour cela, il faut raconter, passer par les histoires. C’est un fort contraste, très romanesque, qui dramatise ainsi Les Derniers Indiens (2008). Marie Santoire et son frère Jean, âgés l’un et l’autre, vivent dans le souvenir d’un ordre paysan immuable ; depuis la fenêtre de leur cuisine, ils observent, abasourdis, la tribu des Lavigne, proliférante, active, qui invente une nouvelle manière, moderne, de continuer l’agriculture. Cette grande opposition est diffractée par le point de vue de Marie, dont le récit restitue les « ruminations » : les associations d’idées se bousculent, tirent le lecteur à hue et à dia. Celui-ci assiste ainsi de l’intérieur, dans la panique d’une conscience effarée, à la mutation, que l’histoire et la sociologie constatent, du monde rural français.

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Écrit par

  • : professeur honoraire, université de Lausanne (Suisse)

Classification

Média

Marie-Hélène Lafon - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

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