MARIE. LE CULTE DE LA VIERGE DANS LA SOCIÉTÉ MÉDIÉVALE (ouvr. collectif)
Quelle situation la société fit-elle aux femmes aux xie et xiie siècles ? Georges Duby s'interrogea sur ce sujet dans son séminaire du Collège de France à Paris durant de longues années. Parmi les diverses approches du problème, fut abordée, durant les années 1990-1992, la question de la vénération de la Vierge. Ce sont les contributions – une vingtaine – des historiens que Georges Duby avait consultés qui sont éditées dans un imposant volume (Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale. Études réunies par Dominique Iogna-Prat, Éric Palazzo, Daniel Russo, publiées chez Beauchesne, 1996). Dans sa préface, Duby ne peut cacher que Marie se trouve radicalement séparée des femmes du commun. Mais d'ajouter que l'enquête fut d'une singulière fécondité, servant de façon beaucoup plus substantielle l'histoire de l'art, de la liturgie, de la théologie, voire celle de la souveraineté que, à proprement parler, l'histoire des femmes.
La démarche des historiens se place ici sous une double exigence : penser les figures concomitantes de Marie dans l'Occident chrétien sur un temps long, des iie-iiie siècles aux xive-xve siècles ; discerner les décrochements et les ruptures de rythme ponctuant un parcours somme toute brisé. Et ce en utilisant une vaste documentation : iconographie, textes, liturgie. Notre fil conducteur sera ici l'analyse des représentations visuelles de la Vierge que propose D. Russo dans un long essai qui forme enfin la large synthèse sur la tradition des représentations de la Vierge Marie dans l'art occidental au Moyen Âge, qui faisait jusqu’alors défaut.
Dans la longue durée s'imposent trois moments principaux de part et d'autre d'une coupure fondamentale : le milieu du xie siècle. Un moment romain d'affirmation pour une Marie reine des cieux dès les ve-vie siècles, et dont les sources d'inspiration sont à chercher dans l'Empire byzantin, et du côté des patriarcats orientaux. Un moment « impérial » que dominent les réinterprétations de la figure mariale avec les Carolingiens, puis les Ottoniens. Un moment grégorien, qui se prolonge jusqu’au xive siècle. L'iconographie mariale – c’est là un apport majeur de cet essai – est toujours l'objet d'intenses enjeux politiques et religieux, ce qui interdit toute évolution régulière. Les deux types marials de base, la « Vierge mère » et l'« Orante », sont ainsi susceptibles de transformations en série qui imposent de nouvelles formulations. À Rome, dans le premier art chrétien, l'iconographie mariale (la Vierge portant l'enfant) est abordée dans une stricte dépendance des problèmes christologiques. Comme orante, Marie intervient d'abondance (53 orantes dans les catacombes) ; par sa maternité, Marie acquiert une position de tout premier plan auprès du Christ-Dieu qui fait d'elle un intercesseur privilégié : saint Irénée voit en elle l'avocate du genre humain. En un mot, tout est en place pour Marie dès les iiie, ive et ve siècles. En 431, le concile d'Éphèse lui reconnaît le titre de Théotokos (« Mère de Dieu »). La Vierge est alors – comme à Sainte-Marie-Majeure, à Rome – une figure de combat et de victoire. Les papes font bientôt de Marie un instrument de l'affirmation de leur pouvoir. Quand Grégoire le Grand (mort en 604) introduit une dimension autoritaire dans la doctrine du gouvernement pastoral de l'évêque de Rome, les représentations de la « Vierge trônant » se multiplient. Puis, suivant en cela l'évolution de la liturgie, se marque un retour de la Vierge orante : les évêques carolingiens insistent sur la figure de Marie comme celle d'une Église en pèlerinage vers le Christ-Dieu. Mais le thème de la Vierge impériale est repris par les souverains carolingiens et ottoniens : dans les années 908-1020, plusieurs manuscrits offrent[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques BERLIOZ : archiviste paléographe, ancien membre de l'École française de Rome, directeur de recherche au C.N.R.S. (Unité mixte de recherche no 5648, archéologie et histoire dans le monde méditerranéen et les pays rhodaniens au Moyen Âge, Lyon)
Classification