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DAMIA MARIE-LOUISE DAMIEN dite (1892-1978)

Née à Paris, Marie-Louise Damien est d'abord une enfant rebelle, en lutte permanente contre son père, agent de police et homme d'autorité. Après avoir frôlé plusieurs fois la maison de correction, elle s'échappe à quinze ans et, pour gagner sa vie, se retrouve figurante au Châtelet. Bientôt, elle apprend à chanter ; avec un bon maître, l'époux de Fréhel, Roberty. Elle saura toujours bien choisir ses professeurs et ses partenaires ; ainsi, pour s'initier à l'art de l'éclairage, elle choisit la danseuse Loïe Fuller.

Très vite, elle s'essaie à la scène. Avant d'avoir dix-neuf ans, elle a déjà fait ses débuts à la Pépinière, elle a été, en compagnie de Max Dearly, enseigner la « valse chaloupée » aux Londoniens (à la place de Mistinguett, d'abord annoncée), elle a chanté au Petit Casino et à l'Alhambra. Enfin, Félix Mayol l'a choisie comme vedette du spectacle qu'il donne dans la salle qui porte son nom. Sa voix étrange, rauque, un peu cassée, un peu râpeuse aussi, c'est déjà celle que décrira plus tard le romancier et polémiste Henri Béraud : cette voix « faite d'un sanglot et d'une révolte mêlés [...], cette vraie voix de chair faite en tout et pour tout d'un souffle de femme ». Mais sa silhouette ne s'est pas encore précisée. Elle apparaît vêtue d'un ensemble rouge un peu bizarre. « Pourquoi portez-vous donc ce costume de dompteuse de puces ? » lui demande Sacha Guitry. Elle comprend, s'affirme et adopte la tenue qu'elle conservera durant près de cinquante ans. Elle se coule dans un fourreau noir, décolleté en V, bras nus, épaules nues, et, sur un fond de scène également noir, les projecteurs dessinent une statue antique au visage lisse comme du marbre, aux cheveux tirés en arrière de manière à dégager le front, qu'Abel Gance saura utiliser lorsqu'il lui demandera d'incarner la Marseillaise dans son Napoléon.

Elle joue parfois des projecteurs avec outrance. C'est que son répertoire, violent, noir, inquiétant, mélodramatique, se prête aux forts contrastes. L'éclairage, presque blanc dans les moments de grande douleur, devient sanglant lorsqu'elle interprète La Veuve, une œuvre de Jules Jouy consacrée à la guillotine...

Cette « tragédienne de la chanson » aime le drame. Elle l'interprète presque théâtralement. À chaque fois qu'il survient, elle s'en empare, s'en auréole, quelle que soit la valeur des couplets qui le font surgir... Elle chante le meilleur et le pire, découvre pendant la Première Guerre mondiale un étonnant poème d'un soldat belge, Jean Val, La Garde à l'Yser et en fait un succès. Quand Sombre Dimanche déclenche à Budapest une épidémie de suicides, elle le met à son répertoire... Elle chante aussi les noirs Ménétriers de Jean Richepin et les inquiétants Goélands de Jean Boyer. Parfois, une accalmie : D'une prison, de Paul Verlaine, sur une mélodie de Reynaldo Hahn. Mais cela ne dure pas. Damia a trop besoin du tragique.

Elle fut, écrit Angèle Güller dans Le Neuvième Art, « une grande chanteuse du malheur, mais du malheur bourgeois ».

Pourquoi bourgeois ? On l'ignore. Ce que l'on sait, c'est qu'elle a ouvert la voie à Piaf comme à Gréco, qu'elle a sublimé la chanson réaliste jusqu'en 1949, date de son dernier récital.

— Lucien RIOUX

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