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DRŽIĆ MARIN (1508 env.-1567)

Un dramaturge au registre multiple

Prise dans son ensemble, l'œuvre de Držić est essentiellement dramatique et composée avant tout de comédies : son lyrisme amoureux s'inspire conventionnellement de la versification pétrarquiste, dont la tradition était solidement établie à Dubrovnik. Držić est un homme de théâtre : il considère la vie réelle comme une grande scène sur laquelle, avec plus ou moins de bonheur, les héros jouent les comiques ou les tragiques, suivant leurs capacités, et en fonction de ces circonstances imprévisibles que, sous la Renaissance, on appelle Fortune. Rares sont les inspirés dont l'esprit acéré et insolent sait assujettir la Fortune tout en dominant de très haut le vulgaire. C'est par l'amplitude du registre que l'on peut mesurer tout l'art déployé par Držić dans ses pièces les plus fameuses. Novela od Stanca (Plaisanterie sur Stanac) est une comédie légère en vers, qui transpose la farce médiévale dans la société ragusaine : de jeunes libertins se jouent d'un paysan simple, de passage cette nuit-là en ville, et désireux d'être rendu à son âge tendre. Dans Skup (L'Avare), pièce qui s'inspire de l'Aululaire de Plaute, un siècle avant l'Avare de Molière, Držić proclame les droits naturels de l'amour contre les unions malencontreuses, combinées par intérêt pur. On peut admirer là un art consommé de la transposition : le vieux thème de Plaute prend tout naturellement sa place à Dubrovnik, grand port de transit entre Orient et Occident et centre commercial prospère. L'argent, à cette époque, commence à tinter sur les pavés des rues et devient la valeur étalon de l'existence. Fortunes soudaines et faillites précipitées sont un excellent ressort du comique dans l'inévitable conflit opposant, là comme ailleurs, anciennes et nouvelles générations. C'est cette même trame qui fascine encore de nos jours dans Dundo Maroje (1551), l'une des comédies maîtresses non seulement du répertoire croate, mais du patrimoine mondial. Seule, peut-être, entre les comédies de la première Renaissance, la Mandragore de Machiavel témoigne d'une connaissance aussi profonde de l'âme humaine allant de pair avec une critique de l'État aussi pertinente, dans le triomphe de l'intelligence sur la bêtise, sur l'obscurantisme et sur l'avarice. Pour réussir cet exploit, Držić introduit dans la commedia erudita de l'époque toute une galerie de héros dont les figures stéréotypées soulignent tout particulièrement, en les opposant, générosité et mesquinerie, jeunesse et vieillesse, joie exubérante et cupidité maladive. Ce sont ces oppositions qui constituent le moteur de la pièce, avec la virtuosité de l'intrigue et l'habile transposition des problèmes typiquement ragusains dans une grande métropole, Rome, où la comédie atteint à une ampleur et à une vivacité auxquelles elle n'aurait pu prétendre dans l'atmosphère d'une obscure petite province. Par ailleurs, le discours de « Long Nez » (Dugi Nos), le nécromant des « Grandes Indes » (Velike Indije), permet à Držić d'exposer son point de vue sur les hommes et la société. Il se dresse contre les « hommes faux » faisant bon marché de toute dignité : tels sont les monstres des dernières lettres à Cosme de Médicis. Cependant, très haut au-dessus de cette fange, rayonne la figure du roturier Pomet, pétillant de malice comme tant d'autres valets de comédie, prompt à duper aussi bien son maître que toute la gent des imbéciles corrompus qui l'entourent. Prêtre, étudiant, acteur, musicien, grand voyageur, secrétaire, vagabond, et, à la fin de sa vie, conspirateur, Držić a donné, avec Dundo Maroje, l'une des plus étincelantes comédies de la Renaissance, qui n'a cessé de séduire depuis quatre siècles.[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature croate moderne à la faculté des lettres de Zagreb, directeur de Croatica, revue pour l'histoire de la littérature croate
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Autres références

  • CROATIE

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    • 6 médias
    ...de la Renaissance, surtout pour la pastorale et la comédie. Nikola Nalješković (vers 1500-1587), d'abord pétrarquiste, écrit par la suite des pièces de théâtre qui ouvriront la voie au plus grand poète comique de l'histoire de Dubrovnik et de la Croatie :Marin Držić (1508-1567).