MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625)
Oublié pendant près de trois siècles, dédaigné en France par les classiques, honni par les romantiques, exhumé par Croce comme modèle d'anti-poésie, le « Cavalier Marin » avait régné sur les lettres de son temps.
Grand meneur du jeu baroque, arbitre du goût, champion de la modernité, comptant presque autant d'ennemis que de dévôts, et fascinant peut-être plus encore les premiers que les seconds, Marino semblait promis à l'immortalité. Aujourd'hui, la redécouverte d'une littérature et d'un art décriés a ressuscité Marino et sa brillante escorte, Achillini, Battista, Preti, Artale, Morando, Casoni, Mennini, Fontanella, Canale, Dotti, Cino di Pers, Sempronio, Lubrano, pour ne citer que quelques noms parmi la foule de poètes qui, tout au long du xviie siècle (Lubrano mourra en 1696), avec des talents divers, ont incarné un moment de la sensibilité et composé le visage de l'Italie baroque.
Misère et splendeur d'un courtisan
Né à Naples en 1569, Giovanni Battista Marino, surnommé le Cavalier Marin, illustre d'une manière exemplaire la condition de l'homme de lettres au début du xviie siècle.
Très jeune, il manifeste une invincible répugnance pour le droit auquel son père le destinait et un penchant non moins invincible pour les femmes, les dettes et la poésie. D'emblée il plaît : sa poésie sur le baiser et ses diverses variétés fait fureur à Naples où il devient secrétaire du prince de la Conca et se lie avec le Tasse qui reconnaît son talent. De 1600 à 1605, on le voit à Rome au service du cardinal Aldobrandini, puis à Turin à la cour de Charles-Emmanuel Ier où il est victime d'un attentat dirigé contre lui par un homme de lettres qu'il avait ridiculisé dans ses satires. Sur l'invitation de Marie de Médicis, il passe en France en 1615. Il y séjournera huit ans et sera assez habile pour rester en grâce après l'assassinat de son protecteur, le maréchal d'Ancre, et l'exil de Marie de Médicis. Il réussira même à faire doubler sa pension par le roi. « Sono ricco come un asino » (« Je suis riche à crever »), écrit-il à un des innombrables amis qu'il a gardés en Italie. Il semble en effet qu'il n'ait plus rien à envier. Comblé d'honneurs et de biens, son œuvre majeure, L'Adonis, vient de paraître avec une préface de Chapelain, et il est la coqueluche de cet hôtel de Rambouillet où précieux et précieuses – parmi lesquels Saint-Amant, Maleville, Voiture – marinisent comme on pétrarquisait. En 1623, il rentre dans son pays natal en triomphe et se retire à Naples pour y mourir deux ans après, en pleine apothéose.
Vie glorieuse et sans gloire d'un courtisan soucieux de sa tranquillité. Les circonstances, il faut le dire, n'incitaient guère à l'héroïsme dans cette Italie exsangue et déchirée, soumise en grande partie à la domination espagnole, où républiques et principautés jadis puissantes s'effritaient, où le tourbillon des fêtes profanes et sacrées, l'or et le marbre des façades cachaient mal l'effroyable misère, où la Contre-Réforme étalait ses séductions et ses pompes sans parvenir à faire oublier que l'équilibre entre l'homme et l'univers avait été détruit, où la seule certitude était l'incertitude de tout, où le poète enfin ne pouvait survivre que masqué. Ainsi Marino n'a rien d'un héros ; à l'instar de son Adonis, il s'épouvante à l'ombre du moindre danger, et l'on ne saurait lui donner tort puisque tout l'encens de ses vers, le panégyrique et l'éloge qu'il a plus qu'aucun cultivé ne l'ont pas empêché d'être à trois reprises jeté en prison. Le portrait n'est donc pas si simple à brosser. Il y avait de l'aventurier chez ce pacifique, une religion tempérée chez ce libertin, un homme de cabinet chez cet homme de salon qui avait plus que « des lueurs de tout ». Lecteur infatigable, amateur de curiosités, connaisseur d'art qui consacra un[...]
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
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