MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625)
Les plaisirs et les jeux
Certes cette poésie est frivole, puisqu'elle aime le jeu, tous les jeux, jeux de l'eau et de l'air, du feu et de la glace, de l'ombre et du soleil, des miroirs et de leurs reflets, les jeux des éléments comme les jeux galants : de l'éventail de plume et de la main, du voile et du sein, de la mouche et de la joue, des yeux et des étoiles ; les métaphores qui y foisonnent sont souvent charades, énigmes, devinettes proposées à l'ingéniosité de l'homme, et à cet homme suprêmement ingénieux qu'est l'homme des salons. Et artificielle de propos délibéré, puisque la nature même semble y emprunter son éclat à toutes les substances précieuses, non telles qu'elles sont extraites des entrailles de la terre ou du sein de la mer, mais associées à une idée de raffinement citadin. Elles sont la matière des prés, le tissu du ciel, elles forment la substance dont est pétri le corps féminin : éclat de perle de la chair près de la gouttelette gemmée d'une boucle d'oreille, saphirs de l'œil, rubis des lèvres mêlé au scintillement des joyaux, au point qu'on ne sait plus où finit la femme, où commencent les choses qui la rehaussent et lui servent de cadre. Doublement artificielle, puisque cet univers ouvre sur un univers livresque, et que les choses vues trouvent leurs échos et leurs prolongements dans les choses lues. L'œuvre de Marino fourmille d'allusions et d'emprunts à des œuvres antérieures ; Ovide d'abord, et ses Métamorphoses, et tous les auteurs décadents latins, Lucain, Ausone, Properce..., remplacent le culte virgilien de Pétrarque. À ces goûts proclamés s'en ajoutent d'autres plus secrets : ouvrages peu connus de l'Antiquité ou de la Renaissance, voire de ses contemporains dont il détache des fragments qu'il glisse, intacts ou remaniés, au sein d'un poème pour le plaisir de « la belle tromperie ».
Mais ce monde de pierreries n'est pas le monde pétrifié des Précieux. Le soleil, chez Voiture ou chez Maleville, qui éclaire « les belles matineuses », a toujours l'air de se lever dans quelque luxueux boudoir. Marino, au contraire, trouve pour peindre certains aspects de la nature – marines surtout, et forêts de La Lira et des Egloghe Boscherecce – la fraîcheur d'un premier jour de la création. Tout chez lui palpite, animé d'une furie de mouvement. Son imagination est sœur de celle du Bernin qui semait dans Rome ces façades où la pierre perd sa pesanteur et s'envole, où la perspective s'enfuit à l'infini, et surtout ces extravagantes fontaines où les draperies des nymphes et des dieux marins se tordent au vent, où les fleuves ruissellent, emportés dans une frénésie de métamorphose. L'eau courante, comme le montre admirablement J. Rousset, est au cœur de la poésie mariniste. Tantôt liée à la magie de l'architecture et de la mise en scène, elle s'épanouit en mille surprises – fleurs, bouquets, gerbes, feux d'artifice hydrauliques, jets, cascades – et les poètes de l'époque nous en offrent une riche collection : « fontaine d'Apollon » de L'Adone, « fontaine de Paul V » de Preti, « fontaine du pont Sixte » de Materdona ; tantôt réduite au pur élément liquide, fleuve, rivière ou mer, elle serpente, ondule, s'enfle dans un décor naturel. Le poète mariniste aime en effet l'image de ce qui s'écoule, de tout ce qui dans l'univers parle le langage métaphorique de la fuite et de l'évanescence. « Je peins le passage », pourrait-il dire avec Montaigne. D'où encore sa prédilection pour les éléments les plus volatils et les plus fragiles qui reflètent le mieux la mobilité de l'esprit humain et l'instabilité des formes, la bulle, le verre, l'arc-en-ciel, la tempête, l'aurore, le couchant, l'éventail (qui est plume et essor), la fleur (et parmi les fleurs,[...]
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
Classification
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