MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625)
L'art naît de surprise
Quelle figure mieux que la métaphore, la métaphore filée et cette pointe aiguisée jusqu'à l'absurde et au saugrenu qu'est le « concetto » permet de traquer les visages successifs ou simultanés et souvent contradictoires du réel ? À la source de l'acte poétique, rapprochant en un éclair des objets infiniment éloignés, elle nous fait voir un violon ailé dans un oiseau, une torche dans un insecte, le flot dans une chevelure sur laquelle navigue, frêle embarcation, guidée par le doigt, un peigne d'ivoire, un paysage de neige en un sein blanc, le soleil en pleine nuit, la nuit en plein jour.
Le ressort de la poésie de Marino est l'étonnement. Mais non, comme l'ont dit ses détracteurs, par recherche de l'originalité à tout prix, du succès de librairie par le scandale. Avant Baudelaire, avant Reverdy et les surréalistes, Marino affirmait et prouvait que la beauté est choc et naît de surprise. Toutefois, les marinistes italiens ignorent cette plongée verticale au cœur de l'objet pour en extraire le sens ; point de gouffres à explorer, de sondes à jeter dans les profondeurs ; ils restent à la surface : avec eux la métaphore se pose sans jamais se reposer, d'une apparence à une autre, d'un déguisement à un autre, poursuivant à l'infini, à travers enchantements et mirages, une insaisissable vérité. Plus beau témoignage peut-être de cette chasse aux apparences, le poème de Marino intitulé Paix nocturne où, en des vers fluides, emportés dans un enivrant ballet, les éléments échangent leurs propriétés, le ciel et la mer se confondent, « les étoiles ardentes et claires » bondissent « changées en poissons, les poissons changés en étoiles ». Et la lune suspendue entre air et terre danse. Dans le Mirage en Sicile de Lubrano, le jeu des réverbérations et des métamorphoses sera porté jusqu'à une frénésie hallucinée. Ailleurs, chez Casoni, dans l'oraison funèbre pour une jeune morte, l'accumulation de vingt-trois objets – tous impalpables et subtilisés au fur et à mesure de leur apparition : ombre, parfum, rire, pleur, brise, éclair, fleur... chante la brièveté de la vie et le néant avec l'allégresse que donne le sentiment de la perfection esthétique.
Le jeu est grave puisque c'est celui que la mort joue avec la vie, mais la conscience acérée de la fragilité des choses et des sentiments est pour les marinistes source et condition de la volupté. Si tristesse il y a, elle n'est qu'un léger voile de mélancolie, l'arrière-goût que laisse le plaisir. Parfois seulement l'obsession délicieuse se transforme en appréhension lancinante : enfermée dans ces exquises et inquiétantes petites machines à mesurer le temps que sont les horloges, toutes les variétés d'horloges – clepsydres, sabliers, cadrans solaires, montres à ressorts –, la hantise de la mort se précise, amorçant sans jamais l'atteindre une autre solution, à la perplexité de l'homme décentré, le retour à l'unité, c'est-à-dire à Dieu. Mais c'est là un aspect du baroque dont on ne trouve les manifestations en Italie que chez ce précurseur que fut le Tasse ou chez ce sombre mariniste que fut Lubrano. Bien qu'il ait écrit des poèmes sacrés et qu'il fût versé en théologie, Marino n'avait rien d'un esprit contemplatif et religieux. Faire des marinistes, essentiellement tournés vers l'extérieur, les frères spirituels d'un Gryphius ou d'un Silesius en Allemagne, d'un Luis de León en Espagne, d'un Donne en Angleterre, d'un La Ceppede en France, serait méconnaître l'originalité du baroque italien. S'il est quelque horizon vers lequel regarde la molle et savante mélodie de L'Adonis, c'est celui de l'opéra et de Métastase.
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
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