LUZI MARIO (1914-2005)
Des livres-cathédrales
Le primat de plus en plus marqué de l'éthique sur l'esthétique, la conscience de la responsabilité du poète envers le présent, gouvernent encore davantage la troisième et dernière partie de l'œuvre. À partir de Pour le baptême de nos fragments (1984), Luzi bâtit des livres-cathédrales, de grandes architectures où résonnent des voix multiples. Le vrai, a-t-il compris au cours des années précédentes, ne peut advenir que dans l'affrontement des discours, Au feu de la controverse (titre d'un recueil paru en 1978). Le nœud de la modernité réside dans le naufrage des dogmes monolithiques. Mais si la modernité est éclatement et violence, le baptême chrétien, qui est reconstitution de l'unité d'être par-delà l'épreuve de la fracture et de la mort, lui semble le modèle qui permet de pressentir le refaçonnement de la personne humaine, dont tout l'art moderne aura exprimé l'irrémédiable fragmentation. Sous l'influence du Coup de dés de Mallarmé, la typographie fait alors voler en éclats le poème sur la page, en même temps que le travail du souffle, de la voix, du rythme, assure la continuité du discours. Cette période « polyphonique » de l'œuvre sera celle de tous les renouvellements : le Voyage terrestre et céleste de Simone Martini (1994) est un quasi-roman en vers, mais où la narration reste fragmentaire ; À l'image de l'homme (2000) est le journal sans date d'un double fictif du poète en quête de sérénité. Enfin, l'ouverture de l'écriture à des voix multiples a également amené Mario Luzi à écrire pour le théâtre : d'Hypatie (1971-1973) au drame sacré Opus florentinum (2000), près d'une vingtaine de pièces en vers, représentées avec succès, ont fait de lui un authentique dramaturge.
Au cours des vingt dernières années de sa vie, Mario Luzi devint un personnage public. Il accepta d'incarner, aux yeux de l'opinion, la figure du poète, sans reculer devant des tâches officielles. Sa nomination comme sénateur à vie, le jour de ses quatre-vingt-dix ans, put apparaître comme l'ultime étape de ce parcours. Mais jusqu'à la veille de sa mort, le poète s'employa à démontrer, notamment par des propos virulents contre le gouvernement de Silvio Berlusconi, qu'aucun titre officiel ne pouvait le priver de son indépendance d'esprit. Aussi ses obsèques nationales à la cathédrale de Florence furent-elles moins la conséquence de son statut officiel que le signe d'une prise de conscience collective. En Mario Luzi, l'Italie a trouvé l'un des poètes qui, issus du peuple des humbles, l'auront aimée avec le plus d'exigence, de rigueur et de fidélité.
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Écrit par
- Jean-Yves MASSON : écrivain, traducteur, directeur de collections aux éditions Verdier, professeur de littérature comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
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SUR D'INVISIBLES FONDEMENTS, Mario Luzi - Fiche de lecture
- Écrit par Bernard SIMEONE
- 682 mots
Dans l'œuvre du poète Mario Luzi (1914-2005), né à Florence, qui, se libérant de Pétrarque et de Mallarmé, semble, sur un arc de sept décennies, tendre toujours davantage vers une poésie polyphonique, perpétuellement évolutive, dont le modèle fut Dante, Sur d'invisibles fondements...