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MARIONNETTES

Types et mœurs populaires

Avec l'islam, l'impossibilité de figurer en chair et en os l'être humain a favorisé le « jeu des ombres ». Vers le xvie siècle, une comédie de mœurs, où la satire de l'actualité avait sa place, s'est organisée autour du type de Karagöz. Chauve, portant un haut bonnet, le ventre gros, bossu, brandissant un énorme phallus qui lui sert de matraque, fourbe, soumis à ses instincts de goinfrerie et de luxure, il est frondeur et raille les autorités. Né en Turquie, il a conquis le bassin méditerranéen, de la Grèce, qui l'a appelé Karaghiozis, à la Tunisie et à l'Algérie, où il s'est nommé Karagouz et Karakouche.

Le xvie siècle a vu naître en Italie un autre bossu et ventru, Pulcinella, qui deviendra, au siècle suivant, Polichinelle en France, Punch en Angleterre, don Cristobal Polichinela en Espagne, et dont on retrouvera certains traits chez le Petrouchka russe.

Le schématisme des traits et de l'animation de la marionnette s'accorde à la réplique à l'emporte-pièce de la satire ; il est un support aisé pour l'esprit revendicatif du peuple. Girolamo, le paysan lombard, naïf et finaud, apparu à la fin du xviiie siècle à Milan, est devenu Chignol à l'occasion d'un séjour à Lyon. Le don créateur de Laurent Mourguet, au début du xixe siècle, a achevé sa transformation en Guignol, porte-parole des canuts, les ouvriers de la soie. Sur les territoires tchèques dominés par l'Empire austro-hongrois, Kašparek a servi à affirmer la personnalité nationale et à combattre pour sa libération ; son rôle historique a été immortalisé par des monuments.

L'Allemagne avec Hänneschen et Kasperl, originaire de Vienne, la Belgique avec Tchantchès le Liégois, en France encore la Picardie avec Lafleur, ont vu prospérer le type populaire.

Parallèlement, à partir du xviie siècle, la marionnette à fils s'est prêtée aux jeux raffinés du ballet et de l'opéra. Elle a servi Mozart et Haydn qui a composé à son intention. La complexité sans cesse perfectionnée du mécanisme dans la recherche de la virtuosité technique n'a pas seulement eu pour but de rendre au mieux la grâce dansante des personnages ; elle a tenu à reproduire au plus près la réalité du corps humain et de ses mouvements. La marionnette y a perdu progressivement sa nature originale, sa vie propre, pour divertir des cercles d'amateurs, de lettrés – tel le théâtre des Amis de George Sand et de son fils Maurice à Nohant et à Paris – ou se livrer à des exhibitions de music-hall. Faute d'attaches au fonds d'un peuple et de la vertu dramatique qui lui est associée, elle n'a plus guère retenu l'attention du public adulte, qui a assimilé sa naïveté à celle de l'enfance et consacré son art à la distraction des petits.

Une réaction contre cet état de choses s'est manifestée après la fin de la Première Guerre mondiale, notamment en U.R.S.S., où le génie inventif de Serge Obratzov a permis à la marionnette d'avoir son théâtre parmi les autres. Après 1945, ce phénomène s'est étendu aux démocraties populaires. La diffusion nationale du genre n'était pas le seul objectif. Une des préoccupations fondamentales des artistes dans le monde a été d'ordre plastique. Ceux-ci ont eu le souci d'accorder les formes à l'évolution de la peinture et de la sculpture modernes, souvent à l'aide de matériaux nouveaux. Dépassant l'anecdote du personnage réaliste, ils ont soit réduit la figuration à des lignes, à des surfaces ou à des volumes élémentaires, soit animé des formes abstraites. Par là, ils ont retrouvé la nature profonde de la marionnette au-delà des complications naturalistes décadentes. En France, depuis 1945, les principaux artisans de ce renouvellement ont été Yves Joly et Georges Lafaye.[...]

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Écrit par

  • : président d'honneur du Syndicat de la critique dramatique et musicale, chef du service culturel et critique dramatique de France-Inter, secrétaire général du Centre français de l'Institut international du théâtre

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