MARIONNETTES
Un signe poétique
Comme instrument de représentation, la marionnette est un médium. En elle se rejoignent la réalité qu'elle figure et la croyance que le spectateur peut avoir en cette réalité – qu'il s'agisse de la réalité des forces qu'elle devait obliger à se manifester dans les spectacles de magie animiste, ou de celle de l'univers imaginaire dans le jeu théâtral traditionnel. Dans les deux cas, elle a la particularité de n'être qu'un objet. Cette nature fait qu'elle échappe à l'une et à l'autre. Elle rend sensible le mystère, elle reflète toutes les imaginations, mais, son office terminé, elle demeure une forme parfaitement désincarnée et à la fois prête à fonctionner, disponible.
Sur le plan technique, le marionnettiste doit combiner la physionomie, son dessin et sa coloration, pour que tout puisse être lisible en elle. L'asymétrie du visage permet un jeu de facettes qui offre un champ infini d'expressions au gré de l'action et en fonction du mouvement. Le merveilleux vient de ce que la marionnette ne propose que des signes à la vision et à l'imagination du public : de nature synthétique, elle présente un art de suggestion.
Mais, pour atteindre à l'expression, pour endosser le caractère qu'on lui attribue, elle a besoin du mouvement. C'est le mouvement qui découvre les angles divers sous lesquels les signes qui composent le physique du personnage forment un relief et prennent vie. La puissance du relief et la force de la vie dépendent de la personnalité, de la maîtrise, du style, de la chaleur de la manipulation.
Le mouvement est imprimé par en dessous pour la marotte, les marionnettes à gaine et à tige et pour les ombres, par au-dessus pour les marionnettes à fils et à tringle. La marionnette, poussée du bas ou tirée du haut, n'adhère pas effectivement au sol sur lequel elle est censée agir ; son évolution échappe dans une certaine mesure à la pesanteur. Cette donnée ajoute à la singularité de l'instrument situé entre ciel et terre, entre la féerie et la réalité. Selon la fantaisie du marionnettiste, la démarche aérienne entraîne des sautillements, éventuellement de brusques et longues avancées, de grands sauts ; ceux-ci sont comparables au schématisme des traits, à l'outrance des situations et du langage de personnages qui, dans cette optique grossissante, ne peuvent être que des types. Ils arrachent la marionnette au réalisme pour la faire accéder à son univers propre qui est poétique. C'est dans le décalage constant entre la réalité de la société humaine à laquelle la marionnette se réfère et la représentation qu'elle en donne que naît cette poésie.
La marionnette n'est guère apte, sinon à la parole, du moins au discours. Ses paroles doivent témoigner du même sens du raccourci que les autres composantes du spectacle. Des écrivains célèbres – Goethe, Kleist, Jarry, Lorca, Ghelderode – ont conçu des pièces pour elle. Mais, dans la pratique, le texte s'inscrivant au milieu d'une pantomime qui a la part la plus importante, le montreur de marionnettes a prêté le plus souvent aux personnages des répliques qu'il a notées lui-même ou qu'il a improvisées. C'est d'ailleurs sa vocation d'être l'auteur total du spectacle.
Il faut que le contact le plus franc s'établisse spontanément entre la marionnette et son auditoire. La naïveté du genre et celle qu'elle suppose de son public l'exigent. L'art de la marionnette est par essence populaire. Ses personnages fameux ont été élevés à la dignité de héros nationaux parce qu'ils résument dans leur personnalité des qualités et des défauts, une mentalité, un langage, des tics répandus chez leurs compatriotes. Leur force vient de ce qu'ils sont la synthèse, dans leur existence imaginaire, d'un ensemble de caractères complexes, mêlés, souvent[...]
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Écrit par
- Paul-Louis MIGNON : président d'honneur du Syndicat de la critique dramatique et musicale, chef du service culturel et critique dramatique de France-Inter, secrétaire général du Centre français de l'Institut international du théâtre
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