MARITORNE
On peut dire d'une servante laide et malpropre qu'elle est une maritorne. Maritorne partage le même destin linguistique que Dulcinée du Toboso, autre personnage féminin de Don Quichotte. Pour des raisons différentes, elles ont, toutes les deux, frappé les imaginations au point de déborder leur identité romanesque pour entrer dans le langage commun. « Large de face, plate du chignon, camuse du nez, borgne d'un œil et peu saine de l'autre », telle apparaît Maritorne (Don Quichotte, xvi, 1) dans une de ces auberges en tous points semblables à celles où Cervantès s'arrêta souvent lorsqu'il allait de Castille en Andalousie. Aussi vilaine de corps que de visage, mais peu farouche et remportant des succès auprès d'âniers moins sensibles à son dos voûté et à son haleine fleurant l'ail qu'aux caresses dont elle n'est pas avare, Maritorne a bon cœur. C'est elle qui donne à boire à Sancho Pança, après son « bernement », et du vin qu'elle paye de sa poche. Ce cœur compatissant dans cette vilaine enveloppe est peut-être un des traits qui la mettent en relief aux yeux du lecteur. On ne saurait, en tout cas, quitter Maritorne sans rappeler qu'elle n'est pas la seule de son espèce dans l'œuvre de Cervantès, où l'on trouve d'autres servantes aussi peu appétissantes mais aussi portées sur la chair masculine que la célèbre Asturienne, telles Argüello et la Galicienne de l'Illustre Laveuse de vaisselle.
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Écrit par
- Pierre GUENOUN : auteur
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