MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763)
Le théâtre
Dès la création de son Annibal, Marivaux avait deviné que la grande tragédie en vers ne serait pas son genre. À la demande du régent Philippe d’Orléans, Luigi Riccoboni avait réuni en 1716 une troupe pour reconstituer le Théâtre-Italien à Paris. Il comprit qu’à côté de la traditionnelle commedia all’improviso, en langue italienne, il fallait aussi au public des pièces en langue française et que les acteurs italiens ne pouvaient se contenter des canevas. Il fit appel à des auteurs excellents, parmi lesquels Marivaux. Celui-ci composa pour les Italiens l’essentiel de son œuvre dramatique, même s’il donna aussi quelques œuvres à la Comédie-Française. Marivaux écrivait donc pour une troupe qu’il connaissait et des rôles pour des acteurs et des actrices dont il savait précisément quels étaient leurs talents. S’il donne encore des indications scéniques, par exemple pour les lazzi d’Arlequin dans Arlequin poli par l’amour, il renonce très vite à intervenir.
Écrire pour le Théâtre-Italien imposa à Marivaux une discipline, dont on n’aurait pu imaginer à quel point elle le servirait, celle des rôles codés (tipi fissi) et du jeu masqué. Il lui fallait créer un théâtre nouveau dans une forme dont la tradition était ancienne et parvenir à exprimer des sentiments d’une grande finesse dans des canevas d’origine farcesque. Le maître mot de l’esthétique de Marivaux était le naturel et il fallait y parvenir en affichant, avec la présence du masque sur scène, l’artifice le plus manifeste. Marivaux sut en faire un atout. Il explora ainsi plusieurs veines de la comédie : l’allégorie, la comédie héroïque, la comédie sérieuse. Comme Destouches, La Chaussée et Voltaire au Théâtre-Français, Marivaux « invente » un nouveau genre de comédie attendrissante (La Mère confidente). Les spectacles italiens comportaient souvent aussi des intermèdes musicaux et lyriques, dus à quelques remarquables compositeurs comme Jean-Joseph Mouret, qu’on oublie souvent aujourd’hui, alors même qu’ils participent de la signification de plusieurs comédies de Marivaux.
Les comédies données au Théâtre-Français, quel que fût leur succès, proposent d’étonnantes variations sur des thèmes identiques : Les Serments indiscrets, où l’auteur essaie la formule de la grande comédie en cinq actes, mais surtout La Seconde Surprise de l’amour, qu’on appelle alors la Surprise des Français, qui répond à la première, la Surprise des Italiens, comme la toile de Watteau L’Amour au Théâtre-Français répond à L’Amour au Théâtre-Italien.
Comme le remarque d’Alembert, la « surprise de l’amour », qui donne leur titre à deux des plus célèbres pièces de l’auteur, est le sujet principal – voire unique, dirent ses détracteurs – de toutes ses pièces. Le sujet ordinaire des comédies, aussi bien dans les pièces italiennes que dans les pièces françaises, était alors l’affrontement des jeunes désirs et des obstacles sociaux (parents, différences de rang social et de fortune, puissance de la génération précédente, vieillards riches et libidineux). Marivaux déplace les lignes. Les jeunes gens ne se connaissent guère avant la pièce. Ils tombent amoureux et doivent en être parvenus au mariage à la fin du troisième acte. Les pères et les mères sont le plus souvent bienveillants et amicaux (Le Jeu de l’amour et du hasard, La Mère confidente). Dans une extrême concentration de l’intrigue (un acte, trois ou cinq, Marivaux essaietoutes ces formes), l’amour doit naître au matin et gagner la partie le soir. Si les obstacles qu’il rencontre ne sont pas tous extérieurs (l’argent et le rang social en forment bien un), le plus grand est celui qu’il rencontre à l’intérieur des êtres. Il doit affronter tantôt un autre amour (La Double Inconstance), tantôt un souvenir (La Seconde Surprise de l’amour), tantôt[...]
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Écrit par
- Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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