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ROTHKO MARK (1903-1970)

Comme pour nombre d'artistes américains de sa génération, l'œuvre de Mark Rothko se divise en trois périodes d'importance inégale : des débuts dominés par une figuration expressionniste appliquée ; une époque intermédiaire marquée par un surréalisme de plus en plus abstrait, une période que l'on qualifie d'expressionnisme abstrait ; où quelques variations ne défont pas l'homogénéité de la méthode et du style, désormais reconnaissables et identifiables comme ceux d'un seul signataire.

Une figuration expressionniste

Marcus Rothkowitz, né en Russie, est arrivé aux États-Unis à l'âge de dix ans. Après des études inachevées à la prestigieuse université Yale, où il suit une formation littéraire, il s'installe en 1923 à New York et y reçoit son premier enseignement artistique. Ses œuvres de jeunesse manifestent l'influence d'un de ses enseignants, le peintre Max Weber, ex-moderniste pratiquant désormais une figuration expressionniste, sur des sujets pittoresques principalement. Cette influence se renforce très vite de celle issue de sa régulière fréquentation de Milton Avery, coloriste grinçant, spécialiste des scènes de genre et lui aussi adepte de déformations expressionnistes mesurées. Jusqu'au tournant des années 1940, les tableaux de Rothko s'inscrivent parfaitement dans cette tendance expressionniste qui constitue l'un des principaux courants de l'art américain de l'époque. Montrés dans des expositions personnelles à partir de 1933, ils n'affichent pas de traits particulièrement saillants, même si l'historiographie a souvent cherché à y déceler les signes avant-coureurs de l'œuvre à venir, tels que l'homogénéisation de la palette au profit de quelques tons dominants, l'aplatissement et la géométrisation des figures et des décors. D'autres traits caractéristiques ont également été cherchés parmi les thèmes iconographiques qui renvoient à une description de la ville moderne comme espace de l'aliénation, notamment dans une suite de tableaux sur le thème du métro, peints entre 1935 et 1940 (Fantaisie en sous-sol, 1940, National Gallery of Art, Washington), qui coexiste cependant avec des scènes de baignade, des nus, des intérieurs et quelques portraits (Autoportrait, 1936, collection Christopher Rothko). Nombre de ces traits, y compris une iconographie marquant un désenchantement à l'égard du monde tel qu'il est (plutôt qu'un engagement politique explicite), se retrouvent dans les œuvres des artistes auxquels Rothkowitz s'associe en 1935 au sein du groupe des Dix (qui se dissout à la fin de 1939) tout en émargeant aux programmes artistiques fédéraux mis en place par la politique du New Deal.

S'il est un élément qui le distingue de ses contemporains (hormis Barnett Newman), c'est plutôt sa tentative d'exposer systématiquement sa conception de l'art, qui le conduit à rédiger plusieurs manuscrits au tournant des années 1940. Il y insiste sur l'autonomie de l'art, sur la nécessaire « sensualité » de la peinture, mais aussi sur la responsabilité de l'artiste face aux évolutions du temps présent. Ces dernières expliquent sans doute qu'à partir de 1939, au moment du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l'artiste, qui a officiellement changé son nom en Rothko, transforme, assez brusquement, aussi bien ses thèmes que sa manière.

L'iconographie des monstres et des chimères traitée en couleurs vives, les titres et les sujets en référence aux grands mythes de la tradition antique occidentale (Antigone, 1939-1940, National Gallery of Art, Washington ; Le Taureau syrien, 1943, Allen Memorial Art Museum, Oberlin College), ne sont pas seulement des emprunts au surréalisme. Ils témoignent à la fois d'un regain d'intérêt pour la philosophie de Nietzsche[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art, École normale supérieure de Lyon, directeur de l'Institut national d'histoire de l'art, Paris

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