MARRANES
Terme de mépris dont l'origine est mal établie (marrano en espagnol, marrão en portugais : porc) et par lequel on désignait des musulmans ou des juifs convertis mais dont on jugeait que la conversion était feinte. Dans l'historiographie moderne, il s'applique sans nuance péjorative aux juifs convertis et à leurs descendants d'Espagne ou du Portugal qui ont conservé en secret leurs croyances et pratiques juives ancestrales (C. Roth, A History of the Marranos, Philadelphie, 1932 ; I. S. Révah, « Les Marranes », in Rev. études juives, CXVIII, 1959-1960).
L'histoire des marranes — des crypto-juifs plus exactement — concerne la péninsule Ibérique, ses possessions coloniales et nombre de pays d'Europe, d'Afrique, d'Asie et d'Amérique où ils se réfugièrent pour échapper à l'Inquisition, du xve au xviiie siècle. Le premier contingent de juifs convertis en masse apparaît en Espagne après les grands massacres de 1391 : bientôt soupçonnés de judaïser, ils sont pourchassés par l'Inquisition espagnole, créée en 1481. La procédure inquisitoriale, fondée sur la délation et la torture, multiplie les coupables, que l'appareil des autodafés a pour objectif de dévoiler. Pour éviter que les convertis ne judaïsent au contact des juifs, ceux-ci sont expulsés d'Espagne en 1492, sauf s'ils acceptent le baptême. Au Portugal, juifs autochtones et expulsés d'Espagne sont convertis de force en 1497 : une communauté entière disparaît ainsi officiellement.
Elle s'organise dans la clandestinité entre 1497 et 1536, année où l'Inquisition est établie au Portugal. Désormais, et jusqu'au xviiie siècle, les « nouveaux chrétiens » du Portugal, considérés comme un groupe à part, sont frappés, par suite de leur origine, de diverses incapacités et livrés à la merci des tribunaux inquisitoriaux. Certains passent en Espagne ou dans les possessions coloniales, où le même destin les suit. La pratique, même ancienne, d'une seule observance judaïque les fait incarcérer, juger, condamner à la confiscation des biens, à des peines infamantes, au bûcher enfin. Nombre d'entre eux s'enfuient vers les pays musulmans (Empire ottoman et Afrique du Nord) ou protestants (Provinces-Unies, Angleterre, Allemagne, colonies hollandaises ou anglaises). Ils fondent des communautés juives portugaises, notamment à Amsterdam, Hambourg, Livourne. Ces communautés, dont les membres sont maintenant des juifs déclarés, ne concernent les marranes que pour les relations qu'elles entretiennent avec eux et pour le refuge qu'elles leur assurent. Dans les ouvrages qu'ils publient dans la Péninsule ou à l'étranger, les écrivains « néo-chrétiens » dissimulent leur véritable croyance ; les principaux sont Alfonso de La Torre, Antonio Enríquez Gómez, João Pinto Delgado, Baltasar Orobio de Castro, Antonio José da Silva (grand dramaturge portugais, dit O Judeu, le Juif). Ces marranes conservaient-ils vraiment leur foi judaïque ou l'Inquisition en jugeait-elle ainsi afin de s'emparer de leurs biens ? Contre A. J. Saraiva (Inquisição e cristãos novos, Porto, 1969), I. S. Révah soutient, d'après l'étude de multiples procès inquisitoriaux, que les nouveaux chrétiens étaient des juifs « potentiels » qu'une circonstance fortuite et surtout l'expatriation éventuelle dans un pays libre transformaient en juifs pratiquants. En dehors d'un tel cas, la religion « marranique » se caractérisait par un rejet du catholicisme, l'adoration du Dieu unique, la certitude du salut par la Loi de Moïse, la lecture de l'Ancien Testament, la récitation de prières juives en langue vulgaire, la pratique de cérémonies juives en secret. Des contacts épisodiques avec des juifs d'autres contrées enrichissaient le contenu de leur foi propre. Certaines biographies de marranes qui, en Espagne, ont[...]
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Écrit par
- Gérard NAHON : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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