MARSEILLAISE LA
Un chant à la fois rassembleur et clivant
Pourtant, derrière le consensus de façade, les divisions persistent. La polysémie de La Marseillaise permet à beaucoup de s’y reconnaître, mais elle masque de profondes différences d’interprétation et de cultures politiques. Dans la seconde moitié du xxe siècle, ces différences se creusent et se complexifient, en particulier en raison des crises coloniales et postcoloniales.
Séduite par les accents martiaux de l’hymne et par une interprétation xénophobe du passage sur le « sang impur », l’extrême droite profite d’une certaine désaffection de la plupart des autres partis pour les symboles nationaux pour se l’approprier. Après la présidence de Charles de Gaulle, La Marseillaise est quelque peu délaissée par la droite modérée. En 1974, le président Valéry Giscard d’Estaing, soucieux de moderniser les rituels républicains, en fait ralentir le tempo, afin qu’elle ressemble moins à une marche militaire. Chantée en temps de paix sur un air martial, La Marseillaise semble en décalage avec son temps. Il faudra le scandale provoqué par la version reggae de Serge Gainsbourg en 1979 (Aux armes et cætera) pour mesurer la charge de solennité que beaucoup de Français investissent encore dans leur hymne national. Dix ans plus tard, lors du bicentenaire de la Révolution française et malgré une véritable patrimonialisation, l’interprétation de La Marseillaise par la chanteuse noire Jessye Norman est dénoncée par le Front national comme une déviance cosmopolite.
La décomposition de l’empire colonial d’une part et les évolutions de la société française d’autre part font naître de nouvelles tensions : l’hymne est sifflé le 6 octobre 2001, lors d’un match de football France-Algérie disputé au Stade de France, puis le 11 mai 2002 par des supporters corses avant la finale de la Coupe de France, provoquant le départ et la colère du président de la République Jacques Chirac. Dans un contexte de montée des tensions autour des questions de l’immigration et de l’identité nationale, La Marseillaise est ainsi investie d’une certaine inviolabilité légale : depuis mars 2003, un délit d’outrage interdit de porter atteinte au drapeau ou à l’hymne national. Depuis 2011, l’hymne national doit de nouveau être appris dès l’école primaire.
Chantée le 13 janvier 2015 pour la première fois depuis 1918 dans l’hémicycle par les députés après les attentats des 7, 8 et 9 janvier puis dans le monde entier par des millions de personnes après ceux du 13 novembre 2015, La Marseillaise est depuis lors utilisée comme une preuve de l’adhésion unanime aux valeurs républicaines contre le terrorisme : associée à l’image convenue de la « patrie des droits de l’homme », La Marseillaise revêt un masque de plus, qui occulte son origine radicale et révolutionnaire, faisant oublier qu’elle n’a, au cours de son histoire, jamais fait l’unanimité.
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Écrit par
- Guillaume MAZEAU : maître de conférences en histoire moderne à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Médias
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