GRAHAM MARTHA (1894-1991)
Martha devient Graham
Tandis que son vocabulaire se développe et trouve peu à peu sa marque, son groupe compte jusqu'à douze danseuses bénévoles (sa compagnie sera exclusivement féminine jusqu'en 1938) et constitue le premier Martha Graham Dance Group (1928). Heretic (musique anonyme de la collection Chansons de la fleur de lys du recueil de De Sivry, 1929), sa première pièce de groupe et, surtout, Lamentation (musique de Zoltán Kodály, 1930), un solo qu'elle danse assise sur un banc, enveloppée d'un tissu de jersey extensible qui ne laisse apparaître que son visage, ses mains, et ses pieds nus, fondent définitivement son style. La même année, elle interprète le rôle de l'élue dans Le Sacre du printemps que Léonide Massine monte pour le Philadelphia Orchestra. Sa technique s'affirme et se précise tandis qu'elle enseigne au Neighborhood Playhouse à New York. Des pièces comme Primitive Mysteries (musique de Louis Horst, 1931) ou un solo comme Frontier (1935, musique de Louis Horst, décors du sculpteur Isamu Noguchi, avec lequel elle collaborera jusqu'en 1958) montrent une tension, une violence enracinée dans la libido féminine, d'une expressivité dramatique passionnelle. Le critique John Martin écrit dès 1933 : « On pressent dans les œuvres de Martha des démons à exorciser, des démons d'une puissance colossale. »
La technique de Martha Graham est très organique. Fondée sur les mouvements musculaires et osseux, elle utilise l'action vitale de la respiration, ainsi que la spirale comme mouvement essentiel du torse et des bras, et les amplifie de façon à entraîner le reste du corps. Elle crée le binôme contraction-release (contraction-relâchement) qui mobilise fortement le bassin et le pelvis. C'est à partir de ce centre que l'énergie est projetée jusqu'aux extrémités du corps. La technique grahamienne utilise les énergies opposées : elle implique une extrême souplesse et une tension maximale, un jeu incessant entre le poids du corps et son support, le sol, une lutte perpétuelle contre l'espace et contre soi-même, ne laissant jamais la moindre partie du corps passif, même s'il reste immobile.
Graham semble travailler pulsion et impulsion en profondeur, allant jusqu'à une force convulsive constituée d'arrêts brutaux et de reprises d'une puissance inouïe. Elle reprend les grands principes delsartiens qui président à la naissance de la danse moderne en faisant dépendre la force du geste de celle de l'émotion. Ses mouvements mettent en évidence une condition féminine liée au désir et à ses frustrations qui choqua l'époque. Outre cette violence érotisée, on remarque chez Graham des thèmes spécifiquement américains : celui de la femme pionnière, avec Frontier (musique de Louis Horst, 1935), ou encore ceux qui dénotent une dimension politique liée à la crise économique et sociale que connaît le pays ou au climat international, avec, par exemple, American Document (musique de Ray Green, 1938), une œuvre majeure dans laquelle elle introduit des lectures de textes dont la Déclaration d'indépendance des États-Unis. Dans Chronicle (musique de Wallingford Riegger, 1936), elle s'insurge contre l'impérialisme ; dans Immediate Tragedy (1937) et Deep Song (musique de Henry Cowell, 1937), elle s'inspire de la guerre civile espagnole. Aux États-Unis, sa renommée ne cesse de grandir. Elle se produit dans tout le pays. En 1937, elle est invitée par le président F. D. Roosevelt à danser à la Maison-Blanche, à Washington.
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
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