NUSSBAUM MARTHA (1947- )
Figure centrale de la philosophiemorale et politique contemporaine, Martha Nussbaum est née en 1947 à New York et a grandi dans la banlieue aisée de Bryn Mawr, près de Philadelphie. Se destinant initialement à une carrière d’actrice, elle commence après le lycée des études de théâtre à Boston. Puis elle s’inscrit en lettres classiques à l’université de New York, où elle passe sa licence, avant de partir pour Harvard, où elle obtient son master puis son doctorat de lettres classiques tout en suivant des cours au département de philosophie. En 1972, elle s’engage dans une carrière d’enseignante, à Harvard, au sein des départements de lettres classiques et de philosophie, puis à Brown University en 1984. De 1987 à 1993, elle sera aussi directrice de recherche à l’Institut mondial pour la recherche sur l’économie du développement, à Helsinki. En 1994, elle rejoint la faculté de droit de l’université de Chicago, où elle occupe la chaire de droit et d’éthique Ernst Freund.
Le parcours de Nussbaum est à l’image de sa philosophie : riche, varié, combinant goût de l’étude des textes philosophiques et littéraires, et implication dans les affaires du monde. Si Nussbaum conçoit la philosophie comme une entreprise intellectuelle d’examen systématique des croyances et des arguments, elle lui assigne en effet une dimension éminemment pratique : celle de nous aider à vivre mieux, individuellement et collectivement. Nourrie d’une lecture originale de la philosophie d’Aristote, son œuvre se déploie autour de trois thèmes principaux : la justice sociale, les émotions et l’éducation.
La question de la vie bonne
Le livre qui fait connaître Nussbaum paraît en 1986. The Fragility of Goodness (1986 ; trad. fr. 2016) pose la question de la possibilité de la vie bonne pour des êtres vulnérables, en proie au besoin et exposés à la fortune. Nussbaum y examine la manière dont les Grecs ont répondu à ce problème en se concentrant sur les approches des poètes tragiques, de Platon et d’Aristote, et soutient que seul ce dernier a su y apporter une réponse convaincante. Tout en soulignant que la vie bonne dépend de la formation d’un bon caractère et de la pratique délibérée de la vertu, Aristote reconnaît en effet la dépendance de la vie bonne à l’égard de biens qui ne dépendent pas de nous. Sa philosophie se fonde sur une vision de l’être humain comme être « vulnérable et capable » et transcende, selon Nussbaum, les oppositions entre raison et émotion, activité et passivité, individu et collectivité, qui empêchent de saisir la vie humaine dans sa complexité.
Parce qu'elle dépend des efforts de l’individu et de sa bonne fortune, mais aussi de l’organisation de la communauté politique, la question de la vie bonne conduit à celle de la justice sociale. Ce thème devient central à la fin des années 1980. Nussbaum entame alors une collaboration avec Amartya Sen, à l’Institut mondial pour la recherche sur l’économie du développement, autour du problème de la définition et de la mesure de la qualité de vie. Elle contribue avec lui à développer « l’approche des capabilités », selon laquelle les outils adéquats de mesure du développement ne sont pas le PIB par habitant ou l’utilité mais les « capabilités » – soit l’ensemble des actions qu’un individu a le pouvoir de mettre en œuvre et l’ensemble des états qu’il peut effectivement atteindre.
Le travail de Nussbaum sur les capabilités aboutit à la publication de Women and Human Development. The Capabilities Approach (2000 ; trad. fr. 2008), dans lequel elle défend une forme originale de libéralisme politique. Fondé sur la conception aristotélicienne de l’être humain élaborée dans les années 1980, le « libéralisme aristotélicien » se donne pour objectif la promotion pour tous de dix « capabilités humaines centrales » que toute société[...]
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Écrit par
- Marie GARRAU : docteure en philosophie, chercheuse rattachée au laboratoire SOPHIAPOL, université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
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Média