ROBERT MARTHE (1914-1996)
Née à Paris dans une famille très modeste, remarquée par ses professeurs, Marthe Robert bénéficie, dès ses études secondaires, d'une bourse lui permettant de séjourner en Allemagne. La rencontre avec ce pays, sa langue et sa littérature est décisive pour l'orientation de sa vocation littéraire. Son premier livre publié est une Introduction à la lecture de Kafka (1946), un écrivain dont l'œuvre tient une place majeure dans sa bibliographie.
Au café du Dôme, elle fait la connaissance d'Arthur Adamov et d'Antonin Artaud. Roger Gilbert-Lecomte fait également partie de ses proches. Au cours de ses séjours en Allemagne, elle noue des contacts avec le Bauhaus : son premier mari, Jacques Germain, est un peintre proche de ce courant artistique. En 1941, elle rencontre Michel de M'Uzan, dont elle deviendra plus tard la femme. En 1946, elle participe très activement, avec Arthur Adamov, au retour d'Antonin Artaud à Paris.
Sa culture allemande la met en contact avec l'œuvre de Freud. Mais c'est au début des années 1950, alors que Michel de M'Uzan entreprend une formation de psychanalyste, qu'elle entame une véritable démarche dans ce sens : elle fait une psychanalyse et écrit une série d'émissions radiophoniques, parcours de l'œuvre de Freud entremêlé de citations, qui donnera lieu à un classique : La Révolution psychanalytique. La vie et l'œuvre de Freud (1964).
L'origine de la rencontre de Marthe Robert avec le judaïsme est moins facile à cerner. Sans doute y a-t-elle été conduite par des évidences historiques et culturelles, par la constatation que Marx, Einstein, Freud et Kafka, « pionniers de la modernité, ont ceci de commun qu'ils sont et restent juifs ». Elle construit son livre D'Œdipe à Moïse, Freud et la conscience juive (1974) autour d'idées émises par Freud lui-même sur la genèse de son œuvre : juif, son esprit n'était pas encombré, comme celui d'un chrétien, par des croyances et des dogmes ; juif, il était condamné à vivre en marge du conformisme viennois ; juif, il était « prêt comme ses ancêtres défendant leur Temple à jeter sa vie avec joie pour une seule idée ». Elle est la première non-juive à recevoir, en 1987, le prix de la Fondation du judaïsme français.
Marthe Robert a voué son existence à la littérature, reprenant à son compte l'aphorisme de Kafka : « Tout ce qui n'est pas littérature m'ennuie. » Elle a traduit de l'allemand Lichtenberg, Goethe, Büchner, Grimm, Nietzsche et Walser, mais surtout Kafka, dont elle a établi l'édition française du Journal, et auquel elle a consacré un de ses plus beaux essais, Seul comme Franz Kafka (1979).
Ses travaux critiques appliquent la méthode psychanalytique à l'étude de la genèse du roman : genèse historique du genre, à partir des pionniers, Cervantès et Daniel Defoe (L'Ancien et le nouveau, 1963), genèse d'une œuvre (Roman des origines et origines du roman, 1972) telle qu'elle se dessine dans la vie des écrivains. Le romancier est celui qui met en livre ce « roman familial » dont Freud a décrit l'élaboration chez l'enfant pour « surmonter la déception que lui causent ses parents, lorsqu'il en vient peu à peu à les voir tels qu'ils sont ». Marthe Robert décrit « deux attitudes devant la création et la vie, deux types d'inspiration, deux manières de sentir et d'écrire très fortement tranchées » : celles qui se construisent autour de la fable de l'Enfant trouvé, don Quichotte fantasque et rêveur invétéré, et celles qui s'élaborent à partir de la figure du Bâtard, plus réaliste, arriviste parfois et séducteur, entreprenant et révolté, comme dans Crime et Châtiment ou La Chartreuse de Parme. Ces catégories restent mouvantes à l'intérieur d'une même œuvre : Kafka[...]
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Écrit par
- Aliette ARMEL : romancière et critique littéraire
Classification
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