WÉRY MARTHE (1930-2005)
Marthe Wéry/les couleurs du monochrome : ce titre, celui de sa dernière grande exposition (au musée des Beaux-Arts de Tournai en 2004), résume l'un des aspects de l'œuvre de cette artiste belge. Son travail, accompli à une époque où la peinture semblait obsolète, manifeste une liberté d'autant plus remarquable qu'il se développe avec une grande rigueur pour conférer à la surface peinte une ouverture accueillante. Nouant des dialogues toujours renouvelés avec les lieux dans lesquels ils étaient exposés, ses tableaux s'inscrivent certes dans la tradition du modernisme, mais aussi, plus fondamentalement encore, dans celle d'un art inquiet et pourtant rayonnant – « promesse de bonheur », pour reprendre la formule de Stendhal.
Née le 26 avril 1930 à Bruxelles, Marthe Wéry compléta sa formation artistique à Paris, où elle travailla dans l'Atelier 17, dirigé par le graveur William Hayter. Au début des années 1960, sa peinture relève d'une abstraction sensible puis, à la fin de la décennie, elle s'oriente vers une abstraction géométrique. À partir de 1972, son travail s'épure. Ses tableaux, parcourus de lignes verticales ou horizontales, aspirent à manifester une unité ouverte de la surface. La galerie Paul Maenz présente à Cologne ses travaux en 1974 et elle participe l'année suivante à l'exposition organisée au Stedelijk Museum d'Amsterdam, Fundamental Painting. Cette manifestation qui a fait date regroupait des peintres tels que Robert Ryman, Agnes Martin ou Gerhard Richter, dont les œuvres, réflexives et analytiques, interrogeaient la nature du médium.
La quête picturale de Marthe Wéry emprunte un temps la voie du travail sur papier. Ses « dessins lignés » – feuilles blanches entièrement remplies de lignes droites, parallèles, tracées au feutre noir – s'inscrivent dans le droit-fil des compositions all over initiées par les artistes américains, comme par Wladyslaw Strzemiński, dont elle avait découvert l'œuvre à New York en 1969. Invitée à la Documenta 6 de Cassel, en 1977, l'artiste y exposa un ensemble de ces dessins qui éliminent toute forme.
Représentant son pays lors de la biennale de Venise en 1982, Marthe Wéry réalisa pour le pavillon belge une série de tableaux rouges qui marquent son retour définitif à la peinture et manifestent les caractéristiques essentielles de son art : un dialogue fécond avec la tradition du monochrome, le travail par séries et, surtout, une confrontation de la peinture avec le lieu où elle apparaît. Posées sur le sol, adossées aux murs, les toiles rythmaient l'espace.
Depuis lors, Marthe Wéry a développé cette intrication de la peinture et de l'installation, qui rompt avec l'autonomie du tableau. Placées sur des cales ou des tréteaux, disposées le long des murs, accrochées à des hauteurs variables, déployées dans l'espace du spectateur, ses peintures créent des « environnements » picturaux. Cette hybridation bouleverse les catégories. Elle rend surtout perceptible la nécessité pour l'artiste, après avoir congédié la forme, de « vivre la surface ».
Passionnée par l'architecture, Marthe Wéry s'attachait moins aux problématiques du monochrome qu'à celles de la « couleur seule » – à ses qualités perceptuelles et physiques. À partir de 1995, ses tableaux sont constitués de nappes de peinture liquide, couches superposées répandues sur toute la surface, et qui y jouent librement, inscrivant des traces inattendues. Issues de la tension superficielle de la matière, elles génèrent une vitalité du plan.
L'artiste souhaitait « penser en peinture ». Cette ambition la conduisit à nouer un dialogue pictural avec les grands anciens, de Pontormo à Mondrian, Malévitch ou Newman, comme avec ses contemporains, tels Bernard Frize (né en 1954 à Paris) ou Susanna Fritscher[...]
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Écrit par
- Denys RIOUT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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