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RAYSSE MARTIAL (1936- )

Un retour à l'ordre ?

En 1969, Martial Raysse quitte Paris et le milieu de l'art pour vivre à la campagne. Il s'engage dès cet instant dans une quête initiatique qui passe par une réflexion philosophique et artistique entièrement fondée sur la pratique de la peinture en tant que telle. Dans un texte qui date de l970 et qui se termine par les mots « À suivre », il écrit : « Ainsi cette forme qui, avant de prendre sa liberté, avait occupé toutes mes pensées et bien sûr l'espace physique de mon travail, cette forme reprenait sa juste place dans ma vie. J'avais atteint ce statu quo que l'on peut prendre pour de la sagesse si l'on est résolu à mourir. » Il accompagne cette réflexion d'un travail acharné autour de l'exercice du dessin et de certaines techniques picturales, en particulier le très ancien procédé du pastel gras et de la détrempe, où les liants sont l'œuf et la colle mélangés aux pigments.

Le suivre dans son périple consiste à citer quelques jalons qui, loin d'impliquer l'idée de rupture radicale, donnent au contraire une réelle cohérence à la démarche. En 1974, l'exposition Coco Mato livre un ensemble de petits objets dérisoires destinés au culte incertain d'une dérive chamanique, dont Didier Semin dit très justement qu'ils « trahissent le souci d'un retour aux origines du savoir ». Avec la série Loco Bello (1973-1976), Raysse met en scène une monde bigarré et éclatant d'hommes, de femmes, d'enfants et d'animaux familiers au milieu d'une nature exubérante et joyeuse, dominée par un bleu qui le relie à la Méditerranée de ses origines, comme dans Image XVII (1976, Graphische Sammlung Staatsgalerie, Stuttgart). Avec la série intitulée Spelunca (1977-1978), c'est le monde de l'Antiquité et de ses mythes qui envahit un paysage dominé par de somptueuses harmonies de rouges, de violets et de bleus, qui ne sont pas sans faire référence à Matisse (Megalopolis, 1977-1978, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris). Dès lors, écrit Didier Semin, « les images de la réalité s'ouvrent à la confrontation avec les mythes et les symboles qui l'ordonnent ». Dans les œuvres de Raysse, désormais, le monde antique côtoie les exigences de l'ascèse extrême-orientale comme les mouvements de la vie qui entourent le peintre au quotidien.

Le sujet – qu'il soit paysage mystérieux ou scène de genre – est servi au niveau proprement pictural par le souci affirmé d'un retour au modèle historique. Avec des œuvres comme La Source (1989, Carré d'art, musée d'Art contemporain, Nîmes), Les Deux Poètes (1991, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris), ainsi que dans le domaine de la sculpture avec les colonnes et la figure d'une fontaine de la place d'Assas à Nîmes (1989), Martial Raysse provoque le débat. Depuis les années 1990, l’artiste peint des tableaux de grandes dimensions, à la manière de fresques proposant des visions allégoriques de l’humanité : Carnaval à Périgueux (1992), Le Jour des roses sur le toit (2005), Poissons d’avril (2007), Ici plage, comme ici-bas (2012).

S'il est certain que la peinture d'histoire, les évocations mythologiques ou les visions bucoliques s'apparentent à ce qu'il est convenu d'appeler « le grand genre », la critique ne manque pas d'évoquer un certain « retour à l'ordre ». De fait, Martial Raysse s'engage et prend rendez-vous avec l'histoire de l'art mais également avec l'histoire du goût, beaucoup plus versatile. Seul l'avenir dira si ce rendez-vous fut manqué ou accompli.

— Maïten BOUISSET

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