SOLAL MARTIAL (1927- )
La première séance d'enregistrement à laquelle participa Martial Solal, le 8 avril 1953, fut aussi la dernière que dirigea Django Reinhardt. On ne peut s'empêcher de prêter à cette coïncidence la signification d'un passage de témoin entre deux artistes majeurs qui, certes, ont créé chacun leur propre monde, mais possèdent plus d'un trait en commun.
Tout d'abord, une confondante maîtrise de leurs instruments respectifs, subordonnée en toute occasion à un projet esthétique qui l'escamote, comme si la virtuosité cultivée avec passion devait être pratiquée sans complaisance. Ensuite, un imaginaire foisonnant, polychrome, mouvementé, capricieux souvent, paradoxal quelquefois, volontiers tourbillonnaire – incapable cependant de les priver, ne fût-ce qu'un instant, de leur formidable lucidité. Enfin – et c'est en quoi ces irréductibles originaux, ces individualistes farouches ont fait école –, une relation tantôt implicite, tantôt revendiquée, mais toujours fondatrice, à un univers culturel qui n'est pas, ou du moins pas seulement, celui de la musique afro-américaine. Si l'on a pu parler d'« eurojazz », si une telle réalité résiste à l'analyse, Solal en aura été, après le génial Manouche, l'un des accoucheurs et l'une des références ultimes.
Le clavier en solitaire
Le pianiste, chef d'orchestre, compositeur et arrangeur français Martial Solal voit le jour à Alger, le 23 août 1927. Contrairement à de nombreux jazzmen, il ne semble pas avoir trop pris en grippe les inévitables leçons de piano auxquelles on le soumet dès l'âge de huit ans. Il en a quatorze, dit-on, lorsqu'il fait une découverte aussi banale que décisive : un musicien peut prendre la liberté de soumettre une mélodie écrite à des variations de son cru. Dans sa ville natale, l'un des plus habiles à ce jeu se trouve être le saxophoniste et clarinettiste Lucky Starway (Lucien Séror), voisin de palier d'une proche parente. Celui-ci va l'initier à l'accompagnement sans partition, à la technique de la « pompe » (une basse - un accord, deux fois par mesure) chère aux pianistes de l'école harlémite (James P. Johnson, Fats Waller), avant que son élève ne s'essaie à l'improvisation, dont les disques de Teddy Wilson, Coleman Hawkins, Lester Young ou Benny Goodman lui fournissent d'étourdissants exemples. Pédagogie efficace, puisque Martial devient musicien professionnel en 1945. Il se produit à Radio-Alger puis, alors qu'il remplit ses obligations militaires au Maroc, à Radio-Rabat.
En 1950, il décide de tenter sa chance à Paris. Après trois mois passés à courir un cachet pour le moins rétif, il songe à regagner l'Afrique du Nord quand Noël Chiboust l'engage pour la saison d'été à Évian. Ce sera le vrai début d'une carrière qui lui permettra de fréquenter des orchestres en vogue, comme celui d'Aimé Barelli, et des hauts lieux du jazz parisien, tels que le Club Saint-Germain et le Ringside, de jouer avec des Américains de passage aussi prestigieux que Clifford Brown, Jimmy Raney, Bob Brookmeyer et, finalement, de réunir sa propre formation (qui comptera dans ses rangs le guitariste René Thomas). Il enregistre son premier disque personnel le 16 mai 1953, en trio, et, un an plus tard, s'impose définitivement au troisième Salon international du jazz de Paris, à l'issue d'une confrontation où sont engagés avec lui Thelonious Monk, Mary Lou Williams, ainsi que ses compatriotes Bernard Peiffer et Henri Renaud.
Dans les studios comme sur les estrades, il côtoie désormais les plus grands : Sidney Bechet, Don Byas, Lucky Thompson, Dizzy Gillespie, Stan Getz... Le très exigeant André Hodeir chante partout ses louanges, puis l'entraîne dans la belle aventure de l'album Jazz et jazz (1960). Par la suite,[...]
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Écrit par
- Alain GERBER : docteur en psychologie, membre du Collège de pataphysique et de l'Académie du jazz, romancier
Classification
Autres références
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WOODS PHIL (1931-2015)
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- 630 mots
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