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SOLAL MARTIAL (1927- )

Distanciation et ironie

Rassembler, disperser. À l'une et à l'autre de ces tentations permanentes, Solal refuse d'accorder sa préférence parce que ce sont chez lui les deux expressions d'un même désir. Et voilà justement ce qui le rend unique, dans ses improvisations comme dans son écriture. Avec beaucoup d'autres, il partage l'obsession de l'unité et de la plénitude. Mais il ne lui sacrifie pas les commentaires, les parenthèses, les incises, les échappées, les dérapages qui, à ses yeux, assurent la cohésion du discours en l'intégrant au mouvement même de la vie. D'aucuns prendraient prétexte de cette philosophie pour excuser une démarche erratique. Il ne veut y voir que l'obligation de faire, avec les cartes qu'on a brouillées, une réussite : de construire un château, même si ce n'est qu'un château en Espagne. Ennemi de la linéarité, briseur acharné de ces « climats » que lui-même instaure, il ne supporte pas davantage, en dépit de ce qu'affirment ses détracteurs, les fantaisies gratuites. Dans l'univers solalien, tout se paie, parce que tout a sa place et sa fonction. À chaque instant, n'importe quelle contradiction peut (doit) être apportée à ce qui s'énonce : encore faut-il qu'elle soit résolue d'une manière ou d'une autre. Elle l'est toujours. Avec tant de malice, tant d'élégance, tant de finesse parfois que l'auditeur inattentif manque ce dénouement.

Au moins n'aura-t-il pu se soustraire à l'évidence : le génie manifesté par l'artiste dans sa jonglerie avec ces « variations » qui l'avaient tant fasciné lorsqu'il était enfant. Jonglerie ? Voire... Là encore, aucune ostentation, rien d'aléatoire. La multiplication des points de vue relève d'une volonté d'exposer l'« objet » musical dans toutes ses dimensions, sous toutes ses faces à la fois. En cela, on a pu rapprocher Solal des cubistes. D'autres analogies pourraient être risquées avec le simultanéisme en littérature. Pour quel profit ? L'essentiel est d'établir que le créateur se place à distance de sa création et porte sur elle un regard non dénué d'ironie (comme en témoigne l'humour avec lequel il baptise souvent ses œuvres : Key for Two, Thèmes à tics, Leloir est cher, Séquence tenante, Jazz frit, L'Allée Thiers et le poteau laid, etc.). Il se place et, surtout, il se déplace : observateur en mouvement d'une réalité mouvante, il se trouve de la sorte soumis avec elle aux lois de la relativité.

C'est ici que la technique joue tout son rôle. Elle autorise les investigations les moins convenues, les moins confortables. « Elle donne des idées », résume Solal. Aussi n'a-t-il cessé d'affiner la sienne, au point de devenir dans les années 1970 l'élève du pianiste classique Pierre Sancan. La technique, c'est la promesse d'une plus grande autonomie de la sensibilité par la garantie d'un meilleur contrôle des automatismes. Le triomphe, autrement dit, de cette « liberté surveillée » célébrée par un autre de ses titres et qu'il aurait pu prendre pour devise.

C'était aussi, n'en doutons pas, le moyen de se faire reconnaître des musiciens « classiques » et admettre dans un univers où, de plus en plus, il se sentait appelé. Sa collaboration avec Marius Constant à partir de 1979 (qui écrit pour lui son Concerto pour trio de jazz et orchestre, 1981, et sa Fantaisie pour deux orchestres, 1984), ses œuvres symphoniques (Nuit étoilée, Concerto pour piano et orchestre), les pièces qu'il a signées pour la claveciniste Élisabeth Chojnacka ou les Percussions de Strasbourg, après avoir été un compositeur de musique de film très demandé – Deux Hommes dans Manhattan (Jean-Pierre Melville, 1959), À bout de souffle (Jean-Luc[...]

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Écrit par

  • : docteur en psychologie, membre du Collège de pataphysique et de l'Académie du jazz, romancier

Classification

Autres références

  • WOODS PHIL (1931-2015)

    • Écrit par
    • 630 mots

    Avec Julian Cannonball Adderley, Jackie McLean et Sonny Stitt, Phil Woods occupe une place de choix dans la lignée des saxophones alto issue de Charlie Parker. Mais, bien loin de se définir comme un simple épigone, il saura imposer une manière très personnelle dans les grands orchestres qui le réclament...