BUBER MARTIN (1878-1965)
Entre érudition et militantisme
À partir de 1906, ce sont les grands ouvrages sur le hassidisme, Die Geschichten des Rabbi Nachman, Die Legenden des Baalschem (1908) qui culmineront avec Die Erzählungen der Chassidim en 1949 (trad. franç. 1963). Mais il s'intéresse aussi aux religions non juives ainsi que le montrent son anthologie des Confessions extatiques (1909), sa traduction des Discours et images de Tchouang Tse (1910) et des Histoires chinoises (1911), ou son édition du Kalevala, l'épopée nationale finnoise (1914). Sa redécouverte de la mystique juive voulait montrer qu'à côté d'une religion officielle, il y en avait une autre souterraine, aussi forte et importante et surtout indispensable à la survie du judaïsme. Cette affirmation sera très importante pour les générations ultérieures de chercheurs, comme l'attestent le parcours de Gershom Scholem et l'état actuel des études juives. Mais son interprétation sera sujette à des critiques parfois justifiées.
C'est également en 1906 qu'il lance Die Gesellschaft, une imposante collection de « monographies psychosociales » – véritable collection sociologique – de quarante volumes inaugurée avec Le Prolétariat de Werner Sombart. Parmi les titres les plus célèbres, on retiendra La Religion de Georg Simmel, Eros de Lou Andreas Salomé, L'État de Franz Oppenheimer, La Langue de Fritz Mauthner, La Révolution de Gustav Landauer, Les Mœurs de Ferdinand Tönnies, Le Féminisme d'Ellen Key. Après un bref accès de chauvinisme au début de la Première Guerre mondiale, il prend conscience de la nocivité du conflit pour l'Europe et pour les Juifs.
Au milieu de la guerre, il lance une revue, Der Jude, qui jusqu'en 1925 sera le forum de toutes les plumes qui comptent en Europe.
Les Drei Reden über das Judentum (Trois Discours sur la judéité), publiés en 1911, seront le drapeau d'une génération de jeunes Juifs sionistes qui avaient compris que l'intégration et l'assimilation étaient de fausses solutions. Il fallait revenir au judaïsme avant de revenir à Sion, sans aucune compromission afin que ce qui les liait tous puisse retrouver dignité et honneur. Prononcés à Prague à partir de 1909, complétés par cinq conférences de 1912 à 1919, tous ces discours seront publiés en 1923. Il s'agissait d'une transmutation de toutes les valeurs du judaïsme. Celui-ci devait redevenir une priorité immédiate et complète pour tous ceux qui ne voulaient pas le voir disparaître non seulement par conversion ou indifférence mais encore par assimilation et atomisation.
Sa grande anthropologie prévue en plusieurs volumes restera inachevée mais son Ich un Du (Je et Tu) publié en 1923 en reste la partie la plus aboutie et la plus célèbre, traduite en français sur l'insistance de Gaston Bachelard que Buber a rencontré aux Décades de Pontigny, cycle de conférences organisées par Paul Desjardins où il fut invité à parler. Il tente de fonder une éthique première, avant toute métaphysique, fondée sur l'antériorité de la relation. Cette pensée sera fortement méditée par Lévinas.
À partir de 1925, il se lance dans l'extraordinaire traduction de la Bible, en commun avec Franz Rosenzweig jusqu'à la mort de ce dernier en 1929. Il s'agissait de faire réentendre l'hébreu dans un texte allemand différent de la traduction « canonique » réalisée par Luther quatre siècles plus tôt. Buber achèvera seul l'entreprise à Jérusalem trente années plus tard. Maîtrisant parfaitement la science critique de son temps, il n'en reste nullement prisonnier et dialogue avec les grands exégètes biblistes en adoptant des positions très fermes ainsi que le révèle sa Préface en forme de manifeste ou encore son Moïse, publié en hébreu en 1945, paru peu après celui de Freud. Il enseignera la philosophie de la religion dans[...]
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Écrit par
- Dominique BOUREL : docteur ès lettres, université de Paris-IV, directeur de recherche au C.N.R.S.
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