MARTIN EDEN (P. Marcello)
Pietro Marcello, né le 2 juillet 1976 à Caserte, à trente kilomètres de Naples, est vraiment apparu sur la scène internationale avec Bella e perduta(2015), après trois documentaires bien accueillis en Italie et à l’étranger. Dans Bella e perduta, magie des images, présence réelle des animaux devenus les égaux des hommes, dénonciation subtile de la criminalité organisée, de la destruction du patrimoine, de l'oubli de la nature et de sa beauté concouraient à faire du film – ni documentaire ni fiction – une synthèse tant politique que mythologique. En 2007, le premier long-métrage de Marcello, Il passaggio della linea, réunissait déjà le souci de la forme, la nostalgie et la poésie du réalisme. Tournant longuement dans les derniers trains de nuit traversant la péninsule, Marcello saisissait l’insaisissable. En 2009, il restait du côté du documentaire pour La bocca del lupo, une histoire d’amour, dans le vieux Gênes, entre un ancien détenu et une prostituée transsexuelle qui s’étaient rencontrés en prison. Dans un logement sordide et sans lumière, ces personnages paraissaient triompher de tout et briller comme des amoureux de légende. En 2011, Il silenzio di Pelešjan,un portrait filmé de 52 minutes du cinéaste – trop peu connu – Artavazd Palechian confirmait l’ambition formelle de Marcello, qui tentait là d’approcher ce que le documentaliste arménien désigne par « montage à distance ».
Une traversée du siècle
Premier film strictement fictionnel de Marcello, coécrit, comme Bella e perduta, avec Maurizio Braucci, Martin Eden est sorti en septembre 2019 en Italie avec un grand succès public, et en octobre en France où il a été également bien accueilli, après une sélection officielle au festival de Venise. Il s’agit donc de l’adaptation du roman éponyme de Jack London (1909), que beaucoup de lecteurs placent au premier rang de leur panthéon littéraire. L’interprète principal, Luca Marinelli, a reçu la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine. Il incarne ce personnage de marin maladroit devenu le symbole même de l’écrivain tourmenté et génial, de la jeunesse idéaliste, enthousiaste et finalement perdue. Après avoir parcouru le monde, Martin Eden, homme modeste, entre par hasard dans la vie d’une famille riche de San Francisco (devenue Naples dans le film de Marcello). Il est fasciné par Ruth, jeune fille cultivée mais sans véritable profondeur morale ou intellectuelle. Il l’idéalise, croit reconnaître en elle l’image de pureté et de perfection qu’il poursuit intimement. Cette fascination est l’élan qui va permettre à cet homme de peu d’écrire et d’envoyer infatigablement, héroïquement pourrait-on dire, ses manuscrits aux éditeurs. Quand la gloire littéraire survient enfin, imprévue, il est trop tard pour Martin Eden. La quête de vérité aboutit à la déception, à la chute de toute illusion dans un total effondrement.
Le père de Pietro Marcello ayant été lui-même marin (il lui avait parlé du port de Gênes, longuement montré dans La boccadellupo), on imagine l’importance accordée par le cinéaste à ce récit qui commence et finit au cœur de l’océan. Océan cruel, moins pourtant que la bonne société cultivée, vaine et snob qui fait semblant d’accueillir Martin Eden dans ses salons. La Californie devient ici la Campanie, et le xxe siècle naissant de Jack London se révèle une bien étrange époque. Marcello laisse planer le doute, installant son spectateur dans un poétique inconfort temporel. Ajoutée à un sens très subtil de l’ellipse (par exemple, lors du changement de statut social de Martin Eden), cette imprécision historique ne transforme pourtant pas le récit en une uchronie. On remarque un poste de télévision des années 1960, les uniformes noirs des fascistes de 1940, les meetings des ouvriers socialistes d’avant 1914. C’est bien d’une traversée du siècle passé qu’il s’agit,[...]
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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