MARTIN EDEN (P. Marcello)

Entre lyrisme et froideur

La musique est, comme pour les autres films de Marcello, de Marco Messina. S’y ajoutent des citations inattendues : Joe Dassin, par exemple, étonnamment bienvenu ici, car Martin Eden est un homme du peuple dont les rêves sont aussi faits de la musique populaire la plus simple. L’interprétation que le cinéaste donne du roman insiste sur un aspect parfois négligé dans la réception du livre, en raison de la ressemblance évidente entre London et son héros. Les lecteurs, emportés par un certain lyrisme apparent, ont peut-être en effet tendance à oublier que l’empathie de l’écrivain pour son personnage comporte aussi sa part de réserves. London met en cause l’individualisme de Martin Eden, et Marcello assume très bien ce mélange d’enthousiasme, d’amertume et de critique lucide et même politique. Ses choix formels sont toujours essentiels. Il a tourné son film en super 16, en a été le coproducteur, ce qui, avoue-t-il, fut une lourde charge. Il filme vite, sans aucune longueur, et le rythme du récit – d’une force équivalente à l’élan qui entraîne le roman de London – est peut-être sa plus grande et sa plus intime qualité.

Emmené par l’enthousiasme d’un cinéaste très sûr de son art,Martin Eden conjugue une émotion digne de Douglas Sirk – devant le destin d’un homme à la sensibilité exacerbée qui veut être écrivain – et une distance presque froide face à la dérision tragique née des illusions, des amours trompeuses et d’une inutile gloire artistique. Le héros du film l’affirme dans une extraordinaire prise de parole face à la presse : « L’écrivain Martin Eden n’existe pas. C’est le fruit de votre imagination. Celui que vous avez devant vous est un voyou, un marin. Je ne suis pas un mythe, inutile d’essayer, vous ne m’aurez pas, vous ne m’aurez pas. »