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MARTÍN FIERRO, José Hernández Fiche de lecture

Au lendemain des guerres qui voient les anciennes possessions espagnoles d'Amérique, à l'exception de Cuba et de Porto Rico, accéder à l'indépendance, surgit un peu partout le désir de transformer la rupture politique en émancipation mentale, donc de contribuer à l'édification d'une culture nationale. Les Argentins sont parmi les premiers à tenter de concilier une aspiration à la modernité – représentée par les modes littéraires venues d'Europe – et la prise en compte de la réalité nationale. En 1845, en écrivant Facundo, Domingo Faustino Sarmiento, futur président de la République, imagine une coupure qui fera florès pendant des décennies : « Civilisation » (les villes) contre « Barbarie » (l'intérieur, la pampa, les gauchos). Dans le dernier quart du xixe siècle, la tendance se renverse : un certain nationalisme culturel se fait jour, et le plus beau fleuron de ce courant est sans aucun doute Martín Fierro, une longue épopée en vers, en deux parties respectivement parues en 1872 et en 1879, composée par José Hernández (1834-1886) et souvent présentée comme « l'anti-Facundo ».

José Hernández est né dans un village proche de Buenos Aires. Une grande partie de son enfance et de son adolescence se déroule à la campagne, où il s'imprègne des mœurs de la pampa. Il a dix-huit ans quand, en 1852, le dictateur Juan Manuel Rosas doit abandonner le pouvoir, mais le pays conserve une vie politique agitée, avec la rivalité entre le port de Buenos Aires et les provinces de l'intérieur, entre « unitaires » et « fédéralistes », le tout placé sous la menace permanente d'incursions des tribus indiennes de plus en plus repoussées vers le sud. Hernández va s'impliquer dans les luttes politiques nationales, en changeant d'ailleurs de camp et en passant des unitaires aux fédéralistes, à travers les nombreux journaux qu'il créera ou auxquels il collaborera. Après un exil d'environ une année, il profite de l'amnistie décrétée par Sarmiento pour rentrer en Argentine en 1872, l'année même où il publie la première partie de Martín Fierro. La gloire littéraire sera immédiate, ce qui permettra à Hernández de devenir sénateur de la province de Buenos Aires, charge qu'il occupera jusqu'à sa mort.

Une littérature « gauchesque »

« Ici je m'mets à chanter/ aux accords de ma guitare./ L'homme que tient éveillé/ une peine extraordinaire,/ comme l'oiseau solitaire,/ en chantant peut s'consoler. »

Dès cette première strophe du poème, la condition malheureuse du gaucho, le cavalier qui surveille les troupeaux de la pampa, est affirmée, ce qui, dans la première partie, conduit le personnage central à la rébellion. Puis, peu à peu, émerge une éthique de la résignation devant le caractère apparemment inéluctable des inégalités sociales. Mais, dès la première strophe également, on apprend que la vocation du gaucho est de chanter. Pour lui, la diction poématique est libération, affirmation, évasion et communication avec le monde extérieur. Même quand il se trouve au milieu de la « solitude » de la pampa, il ne peut s'empêcher de « jeter ses plaintes au vent ». L'incontestable modernité du texte provient d'ailleurs du fait que le protagoniste se livre en permanence à la critique de son chant, au fur et à mesure qu'il s'élabore.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • HERNÁNDEZ JOSÉ (1834-1886)

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