KIPPENBERGER MARTIN (1953-1997)
L'artiste allemand Martin Kippenberger a investi un vaste champ de réflexions et d'expérimentations. Il a occupé tous les territoires : la peinture, la sculpture, le collage, le frottage, l'installation, la gravure, dont il se servait spécifiquement sur ses cartons d'invitation, ses affiches et les travaux de ses amis. Hormis la vidéo, à laquelle il n'a pas touché, Martin Kippenberger a passé les vingt ans de sa carrière à déployer une énergie incroyable, à produire une œuvre intense, chaotique et indisciplinée, mais traduisant une pensée homogène. Rien n'échappait à son activité. Homme de l'antithèse systématique, il collectionnait, collaborait avec d'autres artistes, organisait des expositions, notamment dans le Bureau Kippenberger, qu'il a fondé en 1978 à Berlin. En même temps, il devenait directeur du S.O. 36, une salle de concerts berlinoise qui abrita des manifestations très animées, comme les concerts d'Iggy Pop ou de Lydia Lynch.
Né à Dortmund en 1953, Martin Kippenberger s'inscrit à l'école des Beaux-Arts de Hambourg en 1972 et décide de devenir un « professionnel de l'art » en 1976, en allant faire du cinéma à Cinecittà. Mais il se trompe de destination, arrive à Florence : il fera de la peinture. Sa première œuvre importante Uno di voi, un Tedesco in Firenze est un pastiche de Gerhard Richter dont la diversité stylistique était, en 1976, une caractéristique de la scène artistique allemande. Martin Kippenberger affirme ainsi sa volonté de ne pas posséder de style identifiable, d'emprunter de tous les côtés, voire de décider d'un sujet et d'en déléguer la réalisation à un peintre d'affiches : Lieber Maler, male mir, 1981. Son travail inlassable englobe tous les styles, ce qui revient à n'en avoir aucun. Ayant décidé d'être le premier des peintres de second ordre, Martin Kippenberger avait adopté une position marginale, un peu en retrait, qui lui permettait d'observer « tout de l'extérieur », d'intervenir et d'ajouter « gentiment son grain de sel » en réagissant rapidement à tous les événements, fussent-ils banals. Une production inflationniste pouvant seule répondre à cette exigence.
L'art de Martin Kippenberger réalise un postulat déconcertant : tout est important, tout est possible. Des objets surdimensionnés aux cartons d'invitations, des poèmes aux proverbes cyniques – Nous n'avons pas de problème avec les imbéciles car ils parlent notre langue – des lampadaires aux sculptures de carton, tout est aussi réel que les peintures aux couleurs omniprésentes, au coup de pinceau volontairement bâclé, économes de tout procédé pictural.
La position adoptée par Martin Kippenberger n'était pas simple. Il vociférait contre l'art et les artistes, se moquait, se mettait en colère. Son art n'était pas de tout repos. Il accumulait les dénégations, son rire était amer, sarcastique. L'art, les autres, la vie le désespéraient et il réagissait en déployant une activité démesurée. Il s'en prenait à tout ce que l'art a de rassurant : la beauté, le confort, les bonnes intentions, l'harmonie, la mine satisfaite des artistes de son époque. L'art était pour lui trop sérieux pour être autre chose qu'un outil de critique généralisée. Analyste ironique de la scène de l'art, il dégonflait toutes les postures artistiques du moment, enrayait toute velléité de construction esthétique, se mesurait à ses contemporains et à quelques prédécesseurs illustres sans s'épargner lui-même dans son travail iconoclaste. Tenant sans trêve le discours de la désillusion, Martin Kippenberger se battait contre les impostures, visait au renversement des fausses valeurs de l'art actuel. Il appelait cela une morale. « Ce qui importe, disait-il, est ce que les gens pourront dire ou ne pas dire de moi. Si j'[...]
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Écrit par
- Françoise NYFFENEGGER-NINGHETTO : historienne de l'art, conservateur
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